jeudi 26 novembre 2015

La gauche et l’argent

Pierre Pestieau

On connaît des cas où certains défendent avec conviction
des idées de gauche tout en étant d’origine bourgeoise ou même continuant de vivre en bourgeois. C’est peut-être surprenant mais ce n’est pas choquant. Ce qui importe est que les idées soient bonnes et bien défendues. Je me souviens d’une lecture de mes vingt ans, un livre de John Kenneth Galbraith, un économiste de gauche que l’on disait fortuné, propriétaire d’un haras dans le Massachussetts. Son livre était excellent ; il portait sur les inégalités (1). Il a d’ailleurs un fils économiste qui est bien plus à gauche qu’il ne l’était.

En revanche ce que je trouve choquant ce sont les propos et les comportements de gens étiquetés à gauche qui ignorent complètements la réalité sociale. Je ne leur demande pas d’accueillir chez eux des clochards ou des refugiés. S’ils le font c’est très bien. Ce que je leur demande c’est d’éviter les propos à l’emporte pièce du type: « Je ne prends pas le métro; c’est inconfortable et ça pue ». « Je ne comprends pas comment on peut élever une famille dans un logement de 60 m2 ». Ou encore: « On m’offre un jeton de présence de 500 euros pour participer à une réunion mensuelle. On se moque du monde. »


A tout le moins ces gens devraient consacrer quelques heures de leur précieux temps à lire les Portrait sociaux qui sont régulièrement publiés à propos de la France ou de la Belgique, et aussi de l’Europe (2). Ils apprendraient ainsi que la société dans laquelle ils vivent comprend une minorité importante, croissante, de familles qui se débrouillent avec moins que le SMIC, peinent à payer leurs factures d’électricité et de chauffage et ne peuvent s’offrir de soins dentaires de base. Je ne cache pas d’ailleurs ma gêne hebdomadaire devant les publicités de luxe et les annonces immobilières que l’on trouve dans l’Obs.

J’ai évoqué il y a plusieurs années une anecdote qui m’a tellement frappé que je ne résiste pas à y revenir. J’avais été, il y a une vingtaine d’années, aimablement invité par Dominique Strauss Kahn, un brillant économiste du PS, à participer à un dîner débat sur l’avenir du socialisme. L’orateur de ce soir était le président de la RATP de l’époque. A un certain moment, la conversation dérive sur les transports en commun et je demande au président pourquoi on ne supprime pas les inscriptions de première et deuxième classe sur les voitures de métro alors que la distinction avait disparu depuis un certain temps. J’avais remarqué qu’en Gare du Nord de nombreux touristes évitaient de monter dans les voitures marquées du signe ‘Première classe’, voitures qui d’ailleurs étaient moins bondées que les autres. Le président comme les autres participants ignoraient la chose. Ces jeunes cadres, membres du PS ne voyaient pas de quoi je parlais, d’autant plus qu’ils étaient tous venus en voiture, voiture privée, chauffeur ou taxi.

Sur le thème d’une contradiction entre la vie que l’on mène et les idées que l’on défend, un livre vient de paraître à point nommé ; c’est celui de François Noudelmann, intitulé Le génie du mensonge (3). Son propos est précisément d’étudier les situations où l’on affirme une théorie tout en vivant son contraire. Ses exemples sont bien plus littéraires que celui de notre milliardaire qui affichait des opinions socialistes. Ainsi Jean-Jacques Rousseau écrit un traité d'éducation et abandonne ses cinq enfants. Simone de Beauvoir défend une philosophie du féminisme tout en entretenant une relation servile avec son amant américain.

La question est toujours la même : la validité de la théorie est-elle entamée par le fait que son avocat a une vie non conforme à ses convictions. Pour moi la réponse est claire. La théorie  trouve sa validité en elle-même et non pas dans le comportement de ses inventeurs ou de ses défenseurs.

(1) John Kenneth Galbraith, L’ère de l’opulence, Paris : Calmann Levy, 1961.
(2) Portrait Social de la France 2015,  http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/sommaire.asp?ref_id=FPORSOC15

(3) Editions Max Milo , Paris, 2015.

1 commentaire:

  1. Pierre, oui d'accord sur ta conclusion mais quand même faut rester crédible, comme disait Brel: c'est trop facile de faire semblant!
    Mais continuez Victor et toi, c'est vraiment un rayon de soleil dans la semaine que de vous lire!

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