Victor Ginsburgh
Depuis plusieurs semaines, je me proposais de vous parler de l’écrivain
italien Erri de Luca et de ses admirables petits ouvrages. En particulier du Tort du soldat (1), dont je ne vous dévoilerai
pas l’intrigue, mais dont la quatrième de couverture explique qu’il s’agit là « d’un livre aussi bref que percutant
qui nous offre un angle inédit pour réfléchir à la mémoire si complexe des
grandes tragédies du XXe siècle », ce qui me fera revenir,
inévitablement, à ce qui s’est passé vendredi dernier à Paris, parce que
l’écrivain y est aussi (re)venu.
Erri de Luca a commencé sa vie comme ouvrier non qualifié. Il s’est engagé
dans l’action politique révolutionnaire en devenant, en 1969, un des dirigeants
du mouvement Lotta Continua. Il est
maintenant un écrivain célèbre, tout en restant un homme politiquement engagé.
Lisez de lui La parole contraire (2)
qui relate ce qui lui est arrivé après une interview dans laquelle il a incité « à saboter et à dégrader le chantier TAV
Lyon Tunnel Ferroviaire » dans le Val de Suse entre l’Italie et la
France et dont le percement dégage des doses importantes de poussière d’amiante.
En février 2014, écrit-il, « des
agents de la Digos (Division investigations générale et opérations spéciales en
Italie) se présentent le soir à mon domicile et me remettent un exemplaire de
ma mise en examen … Me voici poursuivi en justice. Si je suis
condamné, la peine pourra aller de un à cinq ans… J’ai exprimé mon opinion et
on veut me condamner pour ça. »
Le 19 octobre 2015, le parquet italien demande qu’il soit condamné à huit
mois de prison ferme, mais il est relaxé. Heureusement pour la liberté de
parole.
Est-ce le même homme qui, le 15 novembre 2015 à la suite des horribles
meurtres survenus à Paris déclare à Libération
(3) :
« Il est quasi impossible d’arrêter des
auteurs d’attentats suicide avant. Mais les gens qui vivent autour de ces
assassins se sont parfois aperçus de quelque chose et ont préféré se taire. Il
faut une grande mobilisation de cette responsabilité civile avec la garantie
que les forces de l’ordre créeront un réseau pour exploiter les informations
qui remontent. Au niveau du terrain, on peut parvenir à prévenir les attaques.
Au moment où elles sont déclarées, on les subit. Il ne faut pas laisser
aux seules forces de l’ordre la responsabilité. Elle doit être partagée par le
rez-de-chaussée de la société, comme une lance d’alerte. La militarisation
totale n’est même pas efficace.
« Si on ne fait que de la sécurisation
militaire, on va aller tout droit dans les bras de l’extrême droite. Il faut
une organisation populaire par quartier. Un réseau qui s’organise pour faire de
la résistance d’en bas, des quartiers, est à la portée d’un président de
gauche. Sinon, il y aura une solution de droite. Aujourd’hui, il faut combattre
la peur avec le courage et non par un accroissement de la peur. »
Je suivais avec
bonheur les incitations au sabotage d’Erri de Luca. Mais faut-il comprendre
cette dernière déclaration comme un appel à la délation d’individus qui
auraient un air louche ? Erri de Luca aurait-il oublié l’Allemagne sous
Hitler, la Russie sous Staline, la Chine sous Mao et l’Allemagne de l’Est avant
la chute du mur ?
C’est aux forces de
sécurité que ce travail appartient. Alain Juppé, un des rares politiciens honnêtes
de droite a eu raison de déclarer que le gouvernement de Sarkozy « a sans
doute eu tort de supprimer une dizaine de milliers » de postes dans les
services de sécurité (4).
[Une version un peu
différente de cet article a paru dans L’Echo
du 17 novembre 2015.]
(1) Erri de Luca, Le
tort du soldat, Paris : Gallimard, 2012.
(2) Erri de Luca, La parole contraire, Paris :
Gallimard, 2015.
(3) Frédérique Roussel, Il faut lancer l’alerte au
niveau zéro de la société,
(4) Le Point 17 novembre 2015
Oui, on dirait qu'il oublie comment peut résonner dans la tête des gens : ''une organisation populaire par quartier'' ... Il faudrait qu'il précise mieux son idée
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