Victor Ginsburgh
Le blocus américain de Cuba a pris fin en décembre 2014, mais en décembre
2015, les Etats-Unis n’avaient pas encore mis fin au programme qui encourageait
les médecins et autres professionnels médicaux cubains à déserter Cuba pour
s’installer aux Etats-Unis (1). Ce programme avait été mis en place en 2006
sous le très cher G.W. Bush et a permis à des milliers de médecins et autres
personnes dans le domaine de la santé d’émigrer, alors qu’ils avaient été
(remarquablement, dit-on) formés à Cuba (2). Les Cubains ont eu beau dénoncer ce
programme dans les semaines qui ont suivi les nouveaux accords, rien n’y a
fait, ce qui coûte cher à Cuba qui « loue » son personnel médical aux
pays en développement en contrepartie de cash ou de pétrole (2).
Sans oublier les dommages et les réparations à ceux, tant Américains que
Cubains, qui ont perdu des propriétés confisquées par le gouvernement de Fidel
Castro. Les Américains réclament $8 milliards aux Cubains, les Cubains
répondent que les Américains leur doivent $120 milliards de dommages et
intérêts. Pas facile à régler. Et puis il y a les descendants d’un certain
Meyer Lanski, mafieux juif des grands chemins (encore qu’un bandit des grands chemins
peut être sympa, ce qu’un mafieux n’est certainement poas pas), qui réclame
réparation pour le casino-hôtel-bordel de 352 chambres, toutes sur front de mer
à La Havane, et inauguré par Ginger Rogers en 1957 (3). Il faut bien dire que
Lanski était fameux pour plusieurs raisons, et c’est bien normal qu’on
rembourse sa perte. Il est décrit comme un « magicien financier et tzar
réputé du crime organisé aux Etats-Unis et ailleurs », pote de Lucky
Luciano, Al Capone et autres et auquel Israël a refusé le « droit au
retour » parce qu’il constituait un « danger pour la sécurité
publique » (4). Il est mort dans son lit à Miami en 1983. Il aurait
inspiré le personnage de Hyman Roth dans Le
Parrain, II de Francis Ford Coppola. C’est dire !
Le 2 mai 2016, un bateau de croisière américain s’est mis à quai à La
Havane dans le port qui date de l’époque coloniale.
Le 4 mai 2016, Chanel présente sa « collection croisière » dans
la capitale cubaine. On aurait pu espérer qu’il s’y passe autre chose que ça,
mais au moins, c’est plutôt inoffensif, malgré l’air un peu guerrier de Karl
Lagerfeld.
Fin mai 2016, 100 000 Américains ont visité Cuba, par groupes, parce qu’ils
ne peuvent toujours pas s’y rendre individuellement (5). La hausse rapide du
tourisme (+17% par rapport à 2015) a provoqué une hausse des prix et a obligé
le gouvernement à imposer des plafonds sur les prix de certains fruits et légumes
que les Cubains ne parvenaient plus à acheter.
Washington et La Havane ont signé des accords de coopération concernant des
questions maritimes, de santé, d’agriculture. Les compagnies de
télécommunications et les compagnies hôtelières ont signé des conventions
« to do business in the islands » mais les sanctions et l’embargo
sont toujours en place à la mi-juillet 2016 suite à l’opposition du Congrès (6).
Airbnb contrôle déjà une bonne partie du marché des « casas
particulares » (7). Et Western Union a mis le grappin sur le marché des
versements (de l’ordre de $3 à 5 milliards par an) que font les exilés cubains
à leurs familles restées à Cuba (7).
Dès mars 2016, Obama a déclaré que Cuba n’avait rien à craindre des
Etats-Unis (8). C’est rassurant, mais je n’y crois guère, et d’ici quelques
années, il n’est pas impossible que l’île retourne à l’état de
casino-hôtel-bordel que les Yankees y avaient installé avant 1959.
(1) A new Cuban exodus, The New York Times, December 21, 2015.
(2) US and Cuba at odds over exodus of the island’s
docors, The New York Times, December
19, 2015.
(3) Meyer Lansky’s heirs seeking compensationfor Havana
hotel casino, Haaretz, December 16,
2015.
(4) Simple Orthodox
Funeral Service for Meyer Lansky, Jewish
Telegraph Agency, January 18, 1983.
(5) Le Vif Weekend,
8 mais 2016.
(6) America’s conflicted Cuba policy, The New York Times, July 23, 2016.
(7) L’Echo, 19
mars 2016.
(8) Julie Hirschfeld Davis, Obama, in Havana speech, says
Cuba has nothing to fear from U.S., The
New York Times, March 22, 2016.
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