Pierre Pestieau
Quand j’avais quinze ans, j’étais
fasciné par cette citation de Saint-Exupéry: La grandeur de ma civilisation, c'est que cent mineurs s'y doivent de
risquer leur vie pour le sauvetage d'un seul mineur enseveli. Ils sauvent
l'Homme. Avec le temps j’ai pris quelque distance avec cette forme
d’humanisme que l’on trouve notamment chez Spielberg et son « Il faut sauver le
soldat Ryan ». Car après tout, c’est plutôt l’exemple inverse que notre
civilisation nous offre avec ses guerres (néo-) coloniales dans lesquelles,
pour sauver quelques vies et quelques intérêts commerciaux, on n’hésite pas à
tuer ou blesser des milliers de personnes. Il suffit de relire « Les fantômes
du roi Léopold » pour découvrir que des milliers de vies congolaises ne
faisait pas le poids face à quelques tonnes d’hévéa (1).
Dans ces réflexions et ces
comportements, on se rend bien compte que toutes les vies n’ont pas la même
valeur. Cela me rappelle mon étonnement lorsque j’ai découvert que les sociaux
démocrates scandinaves avaient longtemps été tenté par les thèses eugénistes,
dont un des corolaires était de mettre fin à la vie de personnes jugées trop handicapées
et donc coûteuses pour l’Etat providence, dont ils étaient par ailleurs des défenseurs
efficaces. Mettre fin à la vie ou ne pas permettre de la donner quand celle-ci
aurait un prix trop élevé pour la société. Ces gentils sociaux démocrates ne
faisaient qu’appliquer les principes utilitaristes de Jeremy Bentham, dont
l’une des implications majeures est que le bien être social se mesure par la
somme des utilités individuelles. Au nom de ce calcul social, on en déduit
qu’une vie trop coûteuse peut être sacrifiée pour le bien-être d’un grand
nombre.
Pourquoi revenir sur cette
vieille thématique ? Il semblerait que dans notre société le nombre de
suicides plus ou moins assistés augmente ce qui serait encouragé par la société
surtout s’il s’agit de personnes âgées, dépendantes, fragiles ou souffrantes.
Il est à noter que ceux qu’on appelle parfois les « anges de la
mort » ne sont pas nécessairement motivés par un souci économique mais
plutôt par le désir d’épargner aux malades des souffrances inutiles. On se rappelle l’affaire du Dr Bonnemaison qui en août 2011
a fait scandale en France. Il avait délibérément euthanasié sept de ses
patients en fin de vie. Sa justification : « J’ai voulu soulager leurs souffrances ». Plus proche de nous,
rappelons le procès du « diacre de la mort » qui se déroule
actuellement en Flandre. Il
s’agit d’un certain Ivo Poppe, poursuivi pour 10 assassinats au moins. En fait
il aurait déclaré qu’il avait activement euthanasié au moins 20 personnes. « Je
n’ai jamais voulu tuer, je voulais raccourcir la vie de patients en phase
terminale », a-t-il indiqué.
La distinction entre suicide et euthanasie n’est pas
toujours claire. La Belgique peut se targuer d’avoir une loi sur l’euthanasie
que nos voisins du sud nous envient. Apparemment, le nombre de déclarations
d’euthanasie est assez stable. Il y a eu, en 2016, 2.024 déclarations selon la
Commission de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (2). La plupart
concernent des personnes âgées. En dépit de nombreux garde-fous certains s’inquiètent
dans le nord du pays de certaines dérives. Des médecins cesseraient d’y
appliquer l’esprit de la loi. Il semblerait que le nombre
d’euthanasies soit significativement plus élevé en Flandre que dans les autres
régions, alors que la loi y est la même (3). Quant aux suicides, il y aurait quelque 2.000 cas par an. Le
taux est plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Les personnes âgées
sont deux fois plus nombreuses que les jeunes à mettre fin à leur vie de
manière intentionnelle. Et le taux de suicide est deux fois plus important en
maison de repos qu’au domicile. Ce dernier chiffre semble sous-estimé
pour les personnes âgées. Il existerait en effet des formes indirectes de
suicide. Certaines personnes âgées adoptent
une conduite de déni en refusant par exemple de prendre leurs médicaments. Il
semblerait que très souvent le médecin
traitant préfère, notamment dans un souci de protéger l’entourage, déclarer
comme accident un suicide.
Sur les questions de
vie et de mort, mon maître à penser n’est plus Saint Exupéry mais Woody Allen pour qui on devrait
vivre la vie à l’envers… Tu commences par
mourir, ça élimine ce traumatisme qui nous suit toute la vie. Après tu te
réveilles dans une maison de retraite, en allant mieux de jour en jour. Et
conclut par : Les neuf derniers mois
tu les passes tranquille, avec chauffage central, room service, etc. Et au
final, tu quittes ce monde dans un orgasme.
(3)
https://fr.linkedin.com/pulse/graves-dérives-dans-la-pratique-de-leuthanasie-en-belgique-martens
Nous te publions au www.alternativaeco.org Salutations Pierre. bg
RépondreSupprimer