Victor Ginsburgh
Le "he too" photographié par Chick Close |
Chuck Close, le
célère artiste américain est aussi un « he too ». Une exposition de
ses œuvres (souvent des portrais photographiques) était prévue à la National
Gallery of Art à Washington, mais a été postposée indéfiniment parce qu’il est
accusé de harcèlement sexuel. Je comprendrais qu’on n’expose pas les nouvelles
créations de Close, ou, en tout cas, qu’on ne l’invite plus aux vernissages de
ses éventuelles expositions, mais le reste soulève évidemment une série de
questions que je suis loin d’être le premier à poser. Marcel Proust l’a tellement
mieux fait dans son Contre Sainte-Beuve
(1) : Faut-il séparer, au nom de l’art, l’œuvre de la personne qui l’a produite
ou non ?
(a) Faut-il
arrêter de lire Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir parce que cette dernière
présentait à Sartre des jeunes filles avec lesquelles il pouvait faire l’amour,
même s’il n’y avait probablement pas harcèlement ? Faut-il arrêter de lire
Sade parce qu’il droguait des jeunes filles (et probablement des jeunes
garçons) pour assouvir certains de ses caprices ? Peut-on encore lire Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand
Céline, qui s’est avéré être un antisémite forcené et qui était probablement lié
à des services de renseignements nazis (2) ? Faut-il interdire, comme on
en parle aujourd’hui, de republier les œuvres antisémites qui ont suivi le
Voyage ?
(b) Serait-il
justifié de retirer les œuvres de Sartre, Sade et Céline des bibliothèques et
des librairies ? Que vont faire les musées des œuvres de Picasso, bien
connu pour sa « galanterie » un peu appuyée, d’Egon Schiele, ce
peintre magnifique mais qui lutinait les jeunes filles qu’il peignait, du lumineux
Caravage parce qu’il était un assassin?
Clinton photographié par le "he too" |
Il est vrai que
les œuvres pourraient être davantage
contextualisées, ce qui est précisément le cas pour un portrait photographique de
Clinton par Chuck Close exposé à la Portrait Gallery à Washington. Un cartel
accompagne l’œuvre sur lequel on peut lire : « Le fait que Clinton a
nié sa relation sexuelle avec une stagiaire de la Maison Blanche, alors qu’il
déposait sous serment, a conduit à sa mise en accusation. Il n’a cependant pas été
condamné par le Sénat » (3). Il faudra maintenant ajouter quelques mots
sur celui qui a fait la photographie…
Je comprends
parfaitement que l’on condamne les personnages odieux que sont les « he
too », mais faut-il condamner leurs œuvres ? Je comprends aussi que
les acteurs qui ont travaillé avec Woody Allen prennent distance, mais faut-il
ne pas montrer son dernier film ? L’article du New York Times que j’ai cité plus haut conclut par une phrase du
directeur de l’Art Institute of Chicago (qui possède bien évidemment des
Chuck Close dans ses collections) :
« La
question est : Quelles sont les décisions qui nous placent du bon côté de
l’histoire ? »
Et, ai-je envie d’ajouter : « Quel est le bon côté de l’histoire ? »
(1) Mon co-blogueur Pierre a souvent évoqué cette
question dans ses textes.
(2) Conseil Représentatif des Institutions Juives
de France, Céline mis à nu, 20 février 2017
(3)
Robin Pogrebin and Jennifer Schuessler, Chuck Close is out at the National
Gallery of Art. Is Picasso next?, The New
York Times, January 28, 2017.
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