mercredi 21 février 2018

Oregon : le prix de la transparence

Pierre Pestieau

Les prothèses du genou coûtent trop cher à la Sécurité sociale, au moins 200 millions d’euros par an. C’est le constat établi recemment par une députée fédérale du parti nationaliste flamand, Yoleen Van Camp. D’où sa suggestion de limiter leur pose pour les personnes âgées de plus de 95 ans et de ne plus l’envisager pour celles qui souffrent de démence.

Maggie De Block, la ministre fédérale de la Santé, souvent critiquée par la gauche, a aussitôt réagi : «Nous n’allons pas économiser en refusant à ces gens, sur la base de critères rigides, le droit à une prothèse de genou. Il appartient aux médecins de faire une analyse attentive patient par patient, et c’est ce qu’ils font déjà aujourd’hui». Ce qui a surpris ses nombreux détracteurs forcés de lui donner raison. Et pourtant fallait-il lui donner raison ?


Le problème du rationnement se pose avec une acuité croissante dans nos sociétés. Citons le cas de ce nouveau médicament contre l'hépatite C, le Sovaldi, qui propulse cette problématique au coeur du débat politique français. La question est simple : l'Etat a-t-il les moyens d'offrir cette molécule révolutionnaire à tous les patients qui pourraient en bénéficier? La réponse est sans doute non. En tout cas, pas au prix que réclame pour l'instant son fabricant, le laboratoire américain Gilead : 18 500 euros la boîte, soit un peu moins de 56 000 euros la cure de 12 semaines. On peut certes forcer Gilead à baisser ses prix, mais cela pourrait ne pas suffire d’autant qu’avec les progrès de la médecine, de nouvelles thérapies coûteuses apparaissent régulièrement et que tout citoyen s’attend à pouvoir en bénéficier.

Et pourtant. Dans un monde de ressources limitées, il faut bien procéder à certains rationnements et il faut peut-être le faire de manière explicite, transparente, et non pas selon des critères variables et obscurs, tel que celui du premier arrivé premier servi. Cela nous ramène à la fameuse experience de l’Etat de l’Oregon qui introduisit le premier programme d'assurance publique visant à rationner les soins médicaux explicitement, systématiquement et ouvertement en refusant la couverture des services de santé à ceux pour qui le rapport coût-avantage était trop élevé.  L’avantage était mesuré par le nombre d’années en bonne santé que la thérapie permettait. L'Oregon fut incontestablement  un pionnier dans sa volonté d'embrasser le rationnement et de prendre les décisions difficiles soulevées par les dilemmes de la médecine moderne. En effet, l'histoire de l'Oregon a semblé tellement convaincante, et est maintenant si familière, qu'elle a atteint un statut presque mythique dans la communauté internationale des politiques de santé.


Cependant à bien des égards l’experience de l’Oregon a mal tourné parce que la population de cet état n’a pas su assumer les conséquences de la transparence. Cela est apparu avec le cas de Coby Howard, un garçon de 7 ans souffrant de leucémie. Howard a eu besoin d'une greffe de moelle osseuse. L'État a refusé de financer cette opération qui présentait un rapport coût-avantage trop élevé aux regards des autres demandes. Coby Howard est décédé quelques mois plus tard avant que des fonds suffisants aient été levés au travers d’une opération style téléthon. Cette mort a choqué l’opinion et en réponse à l'affaire Howard, l'État de l'Oregon a du reviser sa politique de transparence.

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