Pierre Pestieau
Les prothèses du genou coûtent trop cher à la
Sécurité sociale, au moins 200 millions d’euros par an. C’est le
constat établi recemment par une députée fédérale du parti nationaliste
flamand, Yoleen Van Camp. D’où sa suggestion de limiter leur pose pour
les personnes âgées de plus de 95 ans et de ne plus l’envisager pour celles qui
souffrent de démence.
Maggie De Block, la ministre fédérale de la
Santé, souvent critiquée par la gauche, a aussitôt réagi : «Nous
n’allons pas économiser en refusant à ces gens, sur la base de critères
rigides, le droit à une prothèse de genou. Il appartient aux médecins de faire
une analyse attentive patient par patient, et c’est ce qu’ils font
déjà aujourd’hui». Ce qui a surpris ses nombreux détracteurs forcés de
lui donner raison. Et pourtant fallait-il lui donner raison ?
Le problème du rationnement se pose avec une acuité croissante dans nos sociétés.
Citons le cas de ce nouveau médicament contre l'hépatite C, le Sovaldi, qui
propulse cette problématique au coeur du débat politique français. La question
est simple : l'Etat a-t-il les moyens d'offrir cette molécule
révolutionnaire à tous les patients qui pourraient en bénéficier? La réponse
est sans doute non. En tout cas, pas au prix que réclame pour l'instant son fabricant,
le laboratoire américain Gilead : 18 500 euros la boîte, soit un peu moins de
56 000 euros la cure de 12 semaines. On peut certes forcer Gilead à baisser ses
prix, mais cela pourrait ne pas suffire d’autant qu’avec les progrès de la médecine,
de nouvelles thérapies coûteuses apparaissent régulièrement et que tout citoyen
s’attend à pouvoir en bénéficier.
Et pourtant. Dans un monde de ressources
limitées, il faut bien procéder à certains rationnements et il faut peut-être
le faire de manière explicite, transparente, et non pas selon des critères
variables et obscurs, tel que celui du premier arrivé premier servi. Cela nous
ramène à la fameuse experience de l’Etat de l’Oregon qui introduisit le premier
programme d'assurance publique visant à rationner les soins médicaux
explicitement, systématiquement et ouvertement en refusant la couverture des
services de santé à ceux pour qui le rapport coût-avantage était trop élevé. L’avantage était mesuré par le nombre
d’années en bonne santé que la thérapie permettait. L'Oregon fut
incontestablement un pionnier dans
sa volonté d'embrasser le rationnement et de prendre les décisions difficiles
soulevées par les dilemmes de la médecine moderne. En effet, l'histoire de
l'Oregon a semblé tellement convaincante, et est maintenant si familière,
qu'elle a atteint un statut presque mythique dans la communauté internationale
des politiques de santé.
Cependant à bien des égards l’experience de
l’Oregon a mal tourné parce que la population de cet état n’a pas su assumer
les conséquences de la transparence. Cela est apparu avec le cas de Coby
Howard, un garçon de 7 ans souffrant de leucémie. Howard a eu besoin d'une
greffe de moelle osseuse. L'État a refusé de financer cette opération qui
présentait un rapport coût-avantage trop élevé aux regards des autres demandes.
Coby Howard est décédé quelques mois plus tard avant que des fonds suffisants
aient été levés au travers d’une opération style téléthon. Cette mort a choqué
l’opinion et en réponse à l'affaire Howard, l'État de l'Oregon a du reviser sa
politique de transparence.
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