Victor Ginsburgh
Décidément, mes
collègues économistes sont bien actifs à écrire sur les problèmes importants de
notre société. Il y a quelques semaines, Mathieu Lefèvre et Pierre Pestieau (Université
de Liège) publiaient leur livre sur l’Etat-providence (1), et à peu près au
même moment, Jean Hindriks (Université catholique de Louvain) et Kristof De
Witte (KU Leuven) s’attaquaient, dans les articles d’un ouvrage collectif intitulé
L’école de la réussite (2), au
problème des différences des modèles d’enseignement et des résultats obtenus
dans les deux communautés linguistiques belges. Ceci les différencie de
nombreux autres écrits dans ce domaine. Les points qu’ils abordent ont plutôt
trait à l’organisation de l’enseignement qu’à ce qui est enseigné. Ils sont
économistes et pas éducateurs. Mais je m’en voudrais de ne pas revenir
brièvement sur ce point plus loin.
Tout en étant
centré sur la Belgique, et contrairement à d’autres analyses, l’ouvrage souligne
les différences importantes entre l’enseignement en Flandre et en Wallonie
Bruxelles (et on se doute bien où cela nous mène), et compare la Belgique
(unie !) au reste des pays de OCDE. De façon générale, la Belgique n’en
sort pas toujours grandie (3). En voici quelques exemples qui devraient vous
inciter à lire l’ouvrage (4).
Les pays où la
mobilité sociale à l’école est grande, sont aussi ceux où les inégalités entre
écoles sont moins importantes. Tout en ne sachant pas où est la cause et où est
l’effet, la Belgique traîne très sérieusement la patte en la mauvaise compagnie
de la France, de l’Allemagne et de la Hongrie.
La discussion sur
la ségrégation sociale dans les écoles fait l’objet de polémiques incessantes.
Il n’en reste pas moins que les pays qui promeuvent l’inclusion sociale, sont
aussi ceux dont les élèves défavorisés socialement réussissent le mieux. En Belgique,
les enfants de milieux modestes ont deux fois moins de chance de réussir que
ceux des milieux favorisée (p. 59), mais pour chaque niveau socio-économique,
l’élève flamand obtient, en moyenne, de meilleurs résultats que l’élève
francophone. Et les auteurs de conclure avec raison que « la supériorité
de l’école flamande sur l’école francophone se confirme dans l’analyse du lien
social » (p. 65) et, oserai-je ajouter, dans d’autres niveaux également
comme on le verra.
Plus de moyens
devraient être consacrés au décrochage scolaire c’est-à-dire, aux adolescents
qui ne terminent pas leurs études secondaires et n’en poursuivant pas d’autres.
Le taux moyen est de 9%, mais la Flandre, une fois encore, fait mieux, avec 6,8%
contre 10,3% en Wallonie et 14,8% à Bruxelles (p. 89). Le taux a diminué dans
toutes les régions entre 2000 et 2016 et est tombé, en moyenne, de 14 à 9%
entre 2000 et 2016. Il est aujourd’hui
comparable aux taux de nos voisins français et néerlandais. Les études faites
aux Pays-Bas et au Canada montrent que les moyens financiers investis pour
lutter contre ce décrochage ont un « retour sur investissement » de
600 à 800% ! (p. 113). Il serait donc temps que la Belgique s’intéresse
davantage à détecter le décrochage, d’autant plus que les coûts psychologiques
supportés par ceux qui décrochent, et dont il n’est sans doute pas tenu compte
dans ce calcul, sont d’une importance considérable.
Faut-il munir les
élèves de certaines connaissances financières ? Oui, disent les auteurs,
et dans ce domaine, la Belgique se situe dans la bonne moyenne dans l’OCDE,
mais il y subsiste des inégalités plus fortes liées à des différences
socio-économiques que dans d’autres pays.
Et puis une
réponse qui me paraît sage et qui devrait faire réfléchir nos universités. « Le
fait de rendre les formations davantage axées sur le marché du travail peut
contribuer à réduire l’inadéquation en début de carrière, mais implique aussi
des dangers évidents » (p. 148). C’est donc, suggère ce chapitre sur la
transition vers l’emploi, en début de carrière, et lorsque la conjoncture
économique est défavorable, qu’il faut « prêter une attention particulière
et durable aux élèves qui terminent leurs études » et pas cinq après.
L’ouvrage dirigé
par De Witte et Hindriks aborde un thème qui détermine notre avenir commun. Il
touche les jeunes aussi bien que les moins jeunes qui liront ce texte, parce
que le bonheur de ces derniers dépend (en partie en tout cas) de ce que pourra leur
fournir l’état-providence abordé par Lefèvre et Pestieau (1). Et ce qui leur
sera fourni dépend du bonheur de ceux qui sont jeunes aujourd’hui.
Mais il est sans
doute temps de conclure par ce qui se débat entre édiles politiques de
l’enseignement en Belgique francophone, où grec et latin (5), sans parler du
néerlandais en Wallonie, disparaissent de l’école, de même qu’une partie du
français puisque « le passé simple ne
s'apprend plus qu’aux
troisièmes personnes du singulier et du pluriel et la littérature jeunesse se
lit de plus en plus au présent et au passé composé » (6). J’en termine par ce texte saisissant d’Ascanio
Celestini (7), qui pourrait résumer ce qui est en train de se produire. En
espérant qu’il ne contient pas de passé simple, autre qu’à la troisième
personne :
« Dans ce
petit pays, il y avait une petite école.
mais le petit
gouvernement
estima que cette
multitude d’enseignements
créait de la
confusion.
Il fut décidé
d’éliminer les maîtres
qui enseignaient
des matières non indispensables.
On licencia par
exemple
l’enseignant de
langues étrangères,
On licencia aussi
l’enseignant de littérature,
parce que la
littérature ça ne fait rien que casser les c…,
la preuve c’est
que si les gens lisent le soir
c’est juste pour
s’endormir.
On licencia le
maître de mathématiques et de physique,
de biologie et de
chimie, et même le prof de gymnastique.
Au bout du compte
on estima qu’il valait mieux
ne laisser qu’un
seule matière
afin de ne pas
confondre les idées des élèves ».
(1) Mathieu Lefèvre et Pierre Pestieau, L’Etat-providence : Défense et
Illustration, Paris : Presses Universitaires de France, 2017.
(2) Kristof De Witte et Jean Hindriks, L’école de la réussite, Gand :
Itinera, 2017.
(3) Je ne peux m’empêcher de penser à Robert
Deschamps (Université de Namur), et à ses propos souvent très brutaux mais
toujours très justes sur l’enseignement dans la communauté francophone de
Belgique. Voir notamment http://www.enseignons.be/2014/07/06/robert-deschamps-il-faut-changer-le-mode-de-fonctionnement-actuel/
(4)
L’ouvrage peut être commandé en ligne sur le site
(5) Voir les réactions de Vinciane Pirenne,
professeure à l’Université de Liège, qui vient d’être reçue au Collège de France
et y occupe une chaire à la suite de Champollion, Claude Lévi-Strauss et Yves
Coppens. Eric de Bellefroid, Il faut maintenir le latin et le grec à l’école, Le Vif, 25 janvier 2018.
(6) Emile Trevert, La fin du passé simple, c’est
la perte d’une nuance de l’esprit, Le Point, 19 décembre 2017.
(7) Ascanio Celestini, Discours à la nation, Paris : Ntabilia, 2014.
Et le cours de musique ? Qui en parle ?
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