mercredi 7 février 2018

Taxer les robots


Pierre Pestieau

L’idée qu’il faille taxer les robots qui prennent l’emploi des non qualifiés est ancienne. Depuis le début de la révolution industrielle, on a assisté à une séquence  continue d’innovations techniques qui permettaient de produire plus rapidement et plus économiquement ce que les hommes produisaient jusqu’alors. C’est sans doute l’ampleur du phénomène et ses effets sur l’emploi qui distinguerait la robolution de la révolution industrielle.  Mais sur ce point, les avis divergent. Certains pensent que de nouvelles activités permettront à la main d’œuvre ainsi déplacée de rester occupée et de ce fait de maintenir le plein emploi. D’autres au contraire, prévoient des pertes massives d’emploi et un chômage de masse qu’il sera difficile de gérer (1). Il n’est pas possible de prévoir ce qui se passera mais clairement la manière dont les gouvernements abordent ce problème est cruciale. On peut en effet adopter une attitude passive et accepter avec fatalité le chômage de masse en proposant un revenu universel pour le pallier. On peut au contraire adopter des politiques proactives qui encouragent le travail dans de nouveaux domaines tels que ceux de l’aide à la personne.


Mais revenons-en à la question de départ, celle d’une éventuelle taxation des robots. Cette question n’a retenu l’attention des économistes que depuis peu. Jusqu’alors, il y avait seulement des propositions de nature impressionniste, qui manquaient de fondement théorique. Les plus connues sont celle de Bill Gates, figure de proue historique de Microsoft, et celle de Benoit Hamon, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle française. L’un et l’autre prônent l'introduction d'une taxe sur les robots, mais ils divergent sur la façon d’utiliser les revenus de cette taxe. Benoit Hamon propose d’utiliser ce produit financier pour financer un revenu universel alors que Bill Gates pense qu’il permettrait de financer la formation et l'emploi dans des secteurs où l'humain ne peut pas être remplacé. Il cite, notamment, comme emplois non robotisables, l'éducation et l'aide aux personnes âgées. Dans ces deux domaines, une hausse des effectifs et des moyens ne pourraient être que bienvenue.

Un des principes de base de l’économie publique est qu’il faut, dans la mesure du possible, éviter de taxer les facteurs de production à des taux différents. Cette règle d’or peut s’appliquer à une économie qui produirait un bien unique à partir de deux facteurs, le travail et un robot qui serait fortement substituable au travail. Le degré de substituabilité est clairement le point crucial de cette discussion. Dans une économie de marché, on devrait atteindre un équilibre de plein emploi qui impliquerait une forte inégalité entre les travailleurs dont les salaires seraient bas et les détenteurs du capital-robot qui auraient des revenus élevés. Dans ce contexte, une solution évidente et efficiente consisterait à ne pas taxer les facteurs de production mais à utiliser une taxation optimale des revenus.

Dans la plupart des pays, il est vraisemblable que la perte de salaires que provoquera la robotisation se heurtera à l’existence d’un salaire minimum. Du coup, on verra apparaître un chômage involontaire et le besoin d’une assurance chômage. Dans ce contexte, la règle de l’efficience productive ne s’appliquera plus et on peut montrer qu’une taxation des robots est socialement désirable. Elle génère un double dividende : d’une part, elle réduit le recours aux robots et pour autant qu’il soit un substitut des robots, le travail s’en trouvera stimulé; d’autre part, le produit de cette taxe peut être utilisé pour financer l’assurance chômage (2).

Il est clair que l’étude du bien-fondé d’une taxation des robots n’en est qu’à ses débuts. Elle est essentielle car il serait beaucoup trop risqué de suivre des recommandations qui seraient fondées sur la seule intuition. Dans les travaux à venir il sera important de bien specifier de quels robots il s’agit, de l’objectif poursuivi par les pouvoirs publics et en particulier du poids qu’ils accordent à la lutte contre le chômage et à la redistribution des revenus. Les récentes analyses de la fracture sociale indiquent clairement qu’une société avec un chômage de masse peut conduire à des dérives insupportables.

(1) Acemoglu, D. and P. Restrepo (2017, Robots and jobs : Evidence form US labor markets, NBER Working Paper 23285.

(2) Pierre Pestieau, Taxing robots with structural unemployment. A paraître.

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