Pierre Pestieau
L’idée qu’il faille taxer les robots qui prennent l’emploi des non qualifiés
est ancienne. Depuis le début de la révolution industrielle, on a assisté à une
séquence continue d’innovations
techniques qui permettaient de produire plus rapidement et plus économiquement
ce que les hommes produisaient jusqu’alors. C’est sans doute l’ampleur du
phénomène et ses effets sur l’emploi qui distinguerait la robolution de la
révolution industrielle. Mais sur
ce point, les avis divergent. Certains pensent que de nouvelles activités
permettront à la main d’œuvre ainsi déplacée de rester occupée et de ce fait de
maintenir le plein emploi. D’autres au contraire, prévoient des pertes massives
d’emploi et un chômage de masse qu’il sera difficile de gérer (1). Il n’est pas
possible de prévoir ce qui se passera mais clairement la manière dont les
gouvernements abordent ce problème est cruciale. On peut en effet adopter une
attitude passive et accepter avec fatalité le chômage de masse en proposant un
revenu universel pour le pallier. On peut au contraire adopter des politiques
proactives qui encouragent le travail dans de nouveaux domaines tels que ceux
de l’aide à la personne.
Mais revenons-en à la question de départ, celle d’une éventuelle taxation
des robots. Cette question n’a retenu l’attention des économistes que depuis
peu. Jusqu’alors, il y avait seulement des propositions de nature
impressionniste, qui manquaient de fondement théorique. Les plus connues sont
celle de Bill Gates, figure de
proue historique de Microsoft, et celle de Benoit Hamon, candidat malheureux à
la dernière élection présidentielle française. L’un et l’autre prônent
l'introduction d'une taxe sur les robots, mais ils divergent sur la façon
d’utiliser les revenus de cette taxe. Benoit Hamon propose d’utiliser ce
produit financier pour financer un revenu universel alors que Bill Gates pense
qu’il permettrait de financer la formation et l'emploi dans des secteurs où
l'humain ne peut pas être remplacé. Il cite, notamment, comme emplois non robotisables, l'éducation
et l'aide aux personnes âgées. Dans ces deux domaines, une hausse des effectifs
et des moyens ne pourraient être que bienvenue.
Un des principes de base de l’économie publique est qu’il faut, dans la
mesure du possible, éviter de taxer les facteurs de production à des taux
différents. Cette règle d’or peut s’appliquer à une économie qui produirait un
bien unique à partir de deux facteurs, le travail et un robot qui serait
fortement substituable au travail. Le degré de substituabilité est clairement
le point crucial de cette discussion. Dans une économie de marché, on devrait
atteindre un équilibre de plein emploi qui impliquerait une forte inégalité
entre les travailleurs dont les salaires seraient bas et les détenteurs du
capital-robot qui auraient des revenus élevés. Dans ce contexte, une solution
évidente et efficiente consisterait à ne pas taxer les facteurs de production
mais à utiliser une taxation optimale des revenus.
Dans la plupart des pays, il est vraisemblable que la perte de salaires que
provoquera la robotisation se heurtera à l’existence d’un salaire minimum. Du
coup, on verra apparaître un chômage involontaire et le besoin d’une assurance
chômage. Dans ce contexte, la règle de l’efficience productive ne s’appliquera
plus et on peut montrer qu’une taxation des robots est socialement désirable. Elle
génère un double dividende : d’une part, elle réduit le recours aux robots
et pour autant qu’il soit un substitut des robots, le travail s’en trouvera
stimulé; d’autre part, le produit de cette taxe peut être utilisé pour financer
l’assurance chômage (2).
Il est clair que l’étude du bien-fondé d’une taxation des robots n’en est
qu’à ses débuts. Elle est essentielle car il serait beaucoup trop risqué de
suivre des recommandations qui seraient fondées sur la seule intuition. Dans
les travaux à venir il sera important de bien specifier de quels robots il
s’agit, de l’objectif poursuivi par les pouvoirs publics et en particulier du
poids qu’ils accordent à la lutte contre le chômage et à la redistribution des
revenus. Les récentes analyses de la fracture sociale indiquent clairement
qu’une société avec un chômage de masse peut conduire à des dérives
insupportables.
(1)
Acemoglu, D. and P. Restrepo (2017, Robots and jobs : Evidence form US
labor markets, NBER Working Paper 23285.
(2) Pierre Pestieau, Taxing robots with structural unemployment. A paraître.
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