Victor Ginsburgh
Voilà qu’en Chine, on vient de construire une bibliothèque étonnante, qui
tout en étant finie, en tout cas, le nombre de livres l’est (à peine 1,5
millions), ressemble à une bibliothèque indéfinie. Elle m’a évidemment rappelé
la très étrange nouvelle de Jorge Luis Borges auquel j’ai emprunté le titre de
mon texte. Voici l’essentiel de la nouvelle écrite en 1941:
« La Bibliothèque se compose d’un nombre indéfini, et peut-être
infini, de galeries hexagonales, avec au centre de vastes puits d’aération
bordés par des balustrades très basses.
De chacun de ses hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. Vingt longues étagères, à raison de cinq par côté, couvrent tous les murs… Il n’y a pas dans cette bibliothèque deux livres identiques et ses étagères consignent toutes les combinaisons possibles des vingt-cinq symboles orthographiques, soit tout ce qu’il est possible d’exprimer dans toutes les langues. Tout : l’histoire minutieuse de l’avenir, les autobiographies, le catalogue fidèle de la Bibliothèque [en contradiction avec le paradoxe de Russel (1)], la démonstration de la fausseté du catalogue véritable, la traduction de chaque livre en toutes les langues. Je ne puis combiner une série de caractères, par exemple dhcmrlchdj que la Bibliothèque n’ait déjà prévue, et qui dans quelqu’une de ses langues secrètes ne renferme une signification terrible. [D’ailleurs] cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères où chaque étagère comprend trente- deux livres, tous de même format ; chaque livre a quatre cent dix pages, chaque page, quarante lignes et chaque ligne environ quatre-vingts caractères noirs… Peut-être suis-je égaré par la vieillesse et la crainte, mais je soupçonne que l’espèce humaine est près de s’éteindre, tandis que la Bibliothèque se perpétuera, éclairée, solitaire, infinie, parfaitement immobile, armée de volumes précieux, inutile, incorruptible, secrète. »
De chacun de ses hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. Vingt longues étagères, à raison de cinq par côté, couvrent tous les murs… Il n’y a pas dans cette bibliothèque deux livres identiques et ses étagères consignent toutes les combinaisons possibles des vingt-cinq symboles orthographiques, soit tout ce qu’il est possible d’exprimer dans toutes les langues. Tout : l’histoire minutieuse de l’avenir, les autobiographies, le catalogue fidèle de la Bibliothèque [en contradiction avec le paradoxe de Russel (1)], la démonstration de la fausseté du catalogue véritable, la traduction de chaque livre en toutes les langues. Je ne puis combiner une série de caractères, par exemple dhcmrlchdj que la Bibliothèque n’ait déjà prévue, et qui dans quelqu’une de ses langues secrètes ne renferme une signification terrible. [D’ailleurs] cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères où chaque étagère comprend trente- deux livres, tous de même format ; chaque livre a quatre cent dix pages, chaque page, quarante lignes et chaque ligne environ quatre-vingts caractères noirs… Peut-être suis-je égaré par la vieillesse et la crainte, mais je soupçonne que l’espèce humaine est près de s’éteindre, tandis que la Bibliothèque se perpétuera, éclairée, solitaire, infinie, parfaitement immobile, armée de volumes précieux, inutile, incorruptible, secrète. »
Oui, je suis sans le moindre doute aussi égaré par la vieillesse, et, tout
en consultant beaucoup mon ordinateur, je lis des vrais livres en papier, dont
les œuvres complètes de Jorge Luis Borgès. J’avais aussi décidé d’en écrire un,
mais Borges me donne bonne conscience de ne pas le faire, puisqu’il existe
déjà. Comme d’ailleurs le texte que je suis en train d’écrire et que, je puis
l’espérer, vous êtes occupés à lire.
Et de fait, un certain Jonathan Basile, a écrit un programme d’ordinateur
(2) qui permet en principe d’engendrer 10 exposant 4677 livres (dont un très
grand nombre seraient illisibles) un nombre largement supérieur au nombre total
d’atomes dans l’univers observable. N’essayez donc pas de les stocker, même
sous forme d’e-books.
Et surtout, réjouissez vos yeux en admirant les images de la bibliothèque chinoise. Une vraie bibliothèque, pas un écran d'ordinateur.
(1) En jargon, l’ensemble A de tous les ensembles ne fait pas partie de
l’ensemble A. En clair, Un barbier se
propose de raser tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes, et seulement
ceux-là. Le barbier doit-il se raser lui-même ?
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