lundi 21 mai 2018

L’ascenseur est-il en panne ? Mobilité et inégalité

Pierre Pestieau

Dans le débat sur les causes de la fracture sociale et l’émergence du vote populiste, on trouve le thème récurrent de l’absence de mobilité sociale. Concrètement, les pauvres percevraient, à tort ou à raison, que leurs enfants ne seront pas mieux qu’eux, et qu’ils seront peut-être même moins bien. Le fameux ascenseur social serait en panne. Qu’en est-il vraiment ? Deux études récentes apportent un début de réponse à cette interrogation. Mais avant de les aborder, il me semble utile de l’associer à des thèmes connexes : ceux de de la croissance zéro, de l’égalité des chances, et du 1% des riches qui accapareraient les dividendes de la croissance.

La croissance zéro qu’elle soit voulue pour des raisons écologiques ou qu’elle soit subie parce qu’elle résulte d’une récession prolongée, a une implication simple. Même si la mobilité sociale était parfaite, à savoir que dans l’échelle des revenus, chacun aurait la même chance de se trouver sur l’un ou l’autre barreau de l’échelle, du plus bas au plus élevé, il y aurait autant de perdants que de gagnants et si la fameuse aversion à la perte se vérifie, le bien être général s’en trouverait diminué. Durant ces dernières décennies, et dans la mesure où le 1% des plus riches touchaient le quasi-totalité des dividendes de la croissance, les 99% d’autres se trouvaient dans un monde de croissance zéro.

La première des études est celle de trois économistes de Harvard (1), qui comparent les Etats-Unis et certains  pays européens, à la fois en termes de mobilité sociale objective (mesurée par la destinée des enfants nés dans les 20 % des ménages les plus bas dans l’échelle des revenus), et en termes d’opinions des citoyens sur cette mobilité. Leur premier résultat est que la mobilité est aujourd’hui plus faible aux Etats-Unis qu’en Europe: un enfant né en bas de l’échelle sociale a davantage de chances d’y demeurer et moins de chances d’accéder au sommet. Ce qui est surprenant et met en cause le légendaire rêve américain. En revanche, par comparaison avec des pays comme la France et l’Italie, les Américains sont beaucoup plus optimistes. Contre toute évidence, ils pensent que l’ascenseur social fonctionne. Cette différence de perception se retrouve dans les nombreuses études sur le bonheur qui indiquent à quel point les Français et les Italiens se sentent malheureux, à la différence des Américains et des Danois.

La relation entre mobilité sociale et inégalité n’est pas claire. En cas d’égalité parfaite, il y aurait à la fois immobilité et mobilité parfaite. En dehors de ce cas limite, les avis divergent. Certains pensent que les sociétés les moins égalitaires sont aussi celles où la mobilité est la plus faible. C’est le point de vue de l’économiste américain Alan Krueger, qui a appelle cette relation entre égalité et mobilité la Great Gatsby curve, en reference au roman de Fitzgerald. Je dois avouer que cette référence ne me paraît pas évidente (2). En outre, on peut défendre l’idée inverse, à savoir que inégalité et mobilité sont parfaitement compatibles.

La seconde étude vient de la Banque Mondiale (3). Elle examine l’évolution de la mobilité économique entre les parents et leurs enfants à travers le prisme de l'éducation. Le rapport qui s’intéresse aux personnes nées entre 1940 et 1980 conclut que la mobilité est au point mort depuis 30 ans. Il constate que 46 des 50 pays ayant les taux de mobilité ascendante les plus faibles appartiennent au monde en développement.

En d’autres termes, il y aurait double peine pour ces pays: pauvreté et absence de perspectives pour les générations futures. On est loin de Gatsby le Magnifique.

(1) Alberto Alesina, Stefanie Stantcheva et Edoardo Teso, (2018), Intergenerational mobility and preferences for redistribution
<https://www.dropbox.com/s/wa76u5fvno2xgjm/Alesina_Stantcheva_Teso_Mobility.pdf?dl=0>

(2) Jay Gatsby symbolise l’ascension sociale. Parti de rien, il profite de la prohibition pour faire fortune grâce à la contrebande. Mais cela se passe à une époque de fortes inégalités de revenus et de richesse.

(3) Rapport de la Banque Mondiale (2018), Fair Progress? Economic mobility across generations around the world http://www.worldbank.org/en/news/press-release/2018/05/09/economic-mobility-in-developing-countries-has-stalled-for-the-last-30-years-wbg-report


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