Pierre Pestieau
Plus que n’importe quelle autre taxe, les droits de succession font l’objet
de nombreuses pressions visant à leur allègement, voire à leur suppression et
le passé récent indique que ces pressions marchent. Une enquête récente du
CREDOC commandée par France Stratégie (1) révèle que la majorité des Français méconnaissent
totalement cette taxe et tendent à l’imaginer beaucoup plus pesante qu’elle ne
l’est en réalité. Par exemple, ils sont nombreux à penser que lors d’un décès
l’époux.se survivant.e doit s’acquitter d’un impôt alors qu’il n’en est rien
depuis de nombreuses années. Il faut dire que le lobby des notaires et des
avocats fiscalistes contribuent à cette désinformation.
Tout récemment, la région flamande a décidé d’autoriser le saut de génération
dans sa fiscalité des successions (2). Concrètement, cela veut dire qu’un
individu peut transmettre directement une partie de son patrimoine à ses petits
enfants, sautant ainsi une génération et évitant que ce legs ne soit soumis à
une double taxation. En effet dans le système actuel le legs serait imposé lors
de sa transmission aux enfants et à nouveau quand ceux-ci le transmettent à leurs propres enfants.
En matière de fiscalité des donations et successions — qui en Belgique est
une compétence régionale —, la Flandre a pris l’habitude de prendre l’initiative.
Et l’histoire récente nous a appris que la Région bruxelloise s’alignera en
grande partie si pas complètement, tandis que la Wallonie suivra avec retard. L’on
ne peut rêver de meilleur exemple de concurrence fiscale. Dans le cas de cette réforme, l’héritier touche son
héritage, paie l’intégralité des droits de successions dus, mais il a ensuite
la possibilité pendant un an d’en faire donation, en tout ou partie, à la
génération suivante et ce sans de voir payer de droits de donation.
Ce qui est intéressant dans cette réforme
c’est que sa motivation n’est pas claire. Selon le cabinet d’avocats qui la soutient,
« c’était une nécessité pour renforcer la cohérence du dispositif ».
Difficile d’être plus concis. On lit aussi qu’avec l’allongement de la vie, les
héritiers en ligne directe sont de plus en plus âgés (entre 50 et 60 ans) alors
que c’est à 20-30 ans que l’on aurait besoin de l’aide de ses parents ou grands
parents. C’est vrai mais la loi actuelle permet aux parents de faire des
donations à leurs enfants bien avant leur mort et celles-ci sont imposées à des
taux faibles. En revanche, si les parents décident de garder leur patrimoine
jusqu'à la fin l’imposition est plus lourde, mais c’est leur choix. La
proposition de la région flamande aura pour conséquence de favoriser encore
davantage les familles riches qui généralement ont une espérance de vie plus élevée
que le reste de la population.
Prenons l’exemple de deux familles qui,
au départ, ont le même patrimoine et l’habitude de transférer à leurs descendants
la moitié de ce patrimoine. L’espérance de vie de la première est moins élevée
que celle de la seconde. En d’autres termes, dans la première famille, deux générations
coexistent alors qu’il y en a trois dans la seconde. Supposons que le
patrimoine initial soit de 400 et que le taux d’imposition soit de 25%. Dans la
première famille, le parent lèguera 200 à son enfant, qui à son tour lèguera
100 à son propre enfant. Dans la seconde famille, le parent lèguera 100 à son
enfant et 100 à son petit enfant. Au total sur ces 3 générations la première
famille s’acquittera de droits de succession de 75 (0,25x200+0,25x100) alors
quand dans la seconde ils s’élèveront à seulement 50 (2x0,25x100). En conséquence,
la première famille subit une double peine : une vie plus courte et une fiscalité
plus lourde.
Du point de vue de l’équité, on voit
bien que le saut de génération ne peut pas se défendre. Dans cet exemple, nous
avons fait l’hypothèse que les transferts se faisaient en fin de vie et que les
deux familles avaient le même patrimoine. Introduire la possibilité de
donations inter vivos et des différences
de richesse entre familles ne modifie pas cette conclusion.
(1)
http://www.strategie.gouv.fr/publications/fiscalite-heritages-connaissances-opinions-francais
(2) https://www.lecho.be/monargent/succession/La-Flandre-autorise-l…partiel-de-generation-a-bon-compte/10003793?ckc=1&ts=1524495654
La Flandre autorise le saut partiel de génération à bon compte | L'Echo
Et pourquoi pas les arrières-petits-enfants?
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