mercredi 6 mars 2019

Repenser la gauche. Immigration et asile politique

Pierre Pestieau

La fracture sociale est certainement un concept mais surtout une réalité qui gangrène nos sociétés depuis plusieurs décennies. Elle est à l’origine du climat délétère qui pèse sur nos démocraties. Un climat dominé par la défiance, défiance à l’égard d’autrui et plus particulièrement à l’égard de toute forme d’autorité.

Un des facteurs de la fracture sociale est malheureusement l’immigration, perçue par une fraction de la population comme une menace pour l’emploi et la cohésion sociale. Tout le monde ne la ressent pas de la même façon et n’en subit pas également les conséquences. Le thème de l’immigration déboussole la gauche, comme la droite d’ailleurs. A gauche comme à droite, il y a des partisans d’une immigration incontrôlée. A gauche, au nom des valeurs d’accueil qui lui sont propres. A droite parce qu’elle pousse les salaires à la baisse et génère une main d’œuvre à bas prix. Il y aussi des partisans d’une immigration contrôlée. A gauche, cela peut s’expliquer par une peur de perte d’emplois mais aussi par un certain réalisme que Michel Rocard a explicité par sa fameuse phrase « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus. […] ». La droite s’oppose à l’immigration et même à l’asile politique au nom de principes identitaires, qui cachent une xénophobie radicale. Dans l’opposition, la gauche a longtemps eu tendance à se montrer laxiste et rejeter toute forme de restriction. Une fois au gouvernement, elle se trouvait beaucoup moins généreuse.

La question de l’immigration appelle plusieurs clarifications. D’abord, on aimerait pouvoir faire la distinction entre asile politique et immigration économique. Les règles d’accueil sont différentes; l’asile est régi par la législation internationale et devrait être prioritaire. Dans les faits, il est très difficile de faire la distinction. Il y des cas où elle est claire mais il y a aussi toute une zone grise où il difficile de savoir les motivations du demandeur d’asile.  Ensuite, il faut reconnaître qu’il est impossible d’atteindre un taux 0 d’immigration, à supposer qu’on le veuille. Même les gouvernements les plus restrictifs laissent entrer des immigrants au travers de trois canaux : le regroupement familial, l’asile politique et l’immigration illégale. A propos de l’immigration illégale, il faut noter qu’elle est souvent favorisée par ceux-là mêmes qui la condamnent. Elle leur donne une main d’œuvre à bon marché, hors des lois sociales. Autre remarque, on entend souvent dire que le problème de l’immigration pourrait être résolu en aidant les pays qui en sont originaires de sorte qu’ils perdent toute raison de s’expatrier. Ce « y’a qu’a » est on ne peut plus discutable pour deux raisons. D’abord, cela ne résoudrait pas le problème de l’asile politique. Ensuite, les sommes requises pour opérer un tel développement ne sont ni politiquement ni financièrement concevables.

Le problème de l’immigration est paradoxal. Du point de vue économique, elle est désirable surtout dans nos vieilles sociétés mais du point de vue politique, elle semble difficilement acceptée. Manque de pédagogie ? Sans aucun doute. L’immigration que connaissent des pays comme la France est souvent subie plutôt que désirée. Par rapport à celle des pays anglo-saxons, elle est moins diversifiée. Une grande partie des immigrés en France sont originaires des anciennes colonies et sont rarement qualifiés (1). De nombreux travaux de recherche basés sur les expériences passées indiquent que dans le long terme les pays d’accueil ont bénéficié des flux migratoires (2). Dans le court terme, on ne peut eviter qu’il y ait des perdants. Cela ne devrait pas être une surprise.

Plusieurs études ont été menées en Allemagne qui est sans conteste un pays d’immigration. Il apparaît que l'effet global de la migration sur la croissance des salaires est négatif car les migrants peu qualifiés sont embauchés avec des salaires plus bas. De plus, les études sur le détachement de travailleurs dans l'UE montrent que cet apport nuit à la syndicalisation et à la possibilité de négociation collective complète.

Que retenir de tout cela ? D’abord, il est évident que la France et la Belgique ne peuvent pas accueillir tous les migrants qui voudraient s’y établir. Etant donne la structure démographique et économique du monde, ce serait infaisable. Ensuite, il est important d’accueillir correctement les réfugiés politiques dans les limites des accords internationaux. Le regroupement familial devrait continuer à être autorisé dans le cadre de la loi. Enfin, il faudrait avoir une vision de l’immigration économique qui soit généreuse mais qui tienne compte des besoins économiques du pays ainsi que de l’adaptation nécessaire des nouveaux venus à une société qui a son histoire et sa culture.

Face à l’immigration, la gauche est non seulement divisée mais aussi ambiguë. Il est important qu’elle adopte une position claire et ferme face a ce qui devrait durer dans les décennies à venir. Elle se doit aussi de rassurer cette fraction de la population qui se sent menacée dans ses emplois et ses valeurs. Un effort accru de pédagogie et d’empathie s’impose. Il importe de cesser de pratique la politique schizophrénique selon laquelle on proclame de bons sentiments sur l’ouverture à l’autre et les droits de l’homme et tout à la fois on tolère des pratiques indignes.

Pour conclure, dans le domaine de l’immigration plus que dans d’autres, il est important de raison garder et de se méfier des fameuses « fake news ». Prenons l’exemple de l’Afrique subsaharienne qui devrait représenter 22 % de la population mondiale vers 2050 au lieu de 14 % aujourd’hui. On lit çà et là que dans 30 ans l’Europe sera peuplée à 25 % d’immigrés subsahariens. Récemment l’excellent démographe François Héran (4) montre qu’un ordre de grandeur réaliste serait cinq fois moindre.


(1) Rapoport, H (2018) Repenser l’immigration en France Un point de vue économique, Opuscules du CEPREMAP.
(2) Docquier, F., E. Lodigiani, H. Rapoport, M. Schiff (2016). Emigration and Democracy, Journal of Development Economics, 120, 209-223
(3) Anke Hassel (2018) Why The Left Must Talk About Migration, Social Europe 29/10/2018
(4) https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/europe-spectre--migrations-subsahariennes/



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire