Pierre
Pestieau
La fracture sociale est certainement un
concept mais surtout une réalité qui gangrène nos sociétés depuis plusieurs
décennies. Elle est à l’origine du climat délétère qui pèse sur nos démocraties.
Un climat dominé par la défiance, défiance à l’égard d’autrui et plus
particulièrement à l’égard de toute forme d’autorité.
Un des facteurs de la fracture sociale
est malheureusement l’immigration, perçue par une fraction de la population
comme une menace pour l’emploi et la cohésion sociale. Tout le monde ne la ressent
pas de la même façon et n’en subit pas également les conséquences. Le thème de
l’immigration déboussole la gauche, comme la droite d’ailleurs. A gauche comme à
droite, il y a des partisans d’une immigration incontrôlée. A gauche, au nom
des valeurs d’accueil qui lui sont propres. A droite parce qu’elle pousse les
salaires à la baisse et génère une main d’œuvre à bas prix. Il y aussi des
partisans d’une immigration contrôlée. A gauche, cela peut s’expliquer par une
peur de perte d’emplois mais aussi par un certain réalisme que Michel Rocard a
explicité par sa fameuse phrase « Nous ne pouvons pas héberger toute la
misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile
politique […] mais pas plus. […] ». La droite s’oppose à
l’immigration et même à l’asile politique au nom de principes identitaires, qui
cachent une xénophobie radicale. Dans l’opposition, la gauche a longtemps eu
tendance à se montrer laxiste et rejeter toute forme de restriction. Une fois
au gouvernement, elle se trouvait beaucoup moins généreuse.
La question de l’immigration appelle
plusieurs clarifications. D’abord, on aimerait pouvoir faire la distinction
entre asile politique et immigration économique. Les règles d’accueil sont
différentes; l’asile est régi par la législation internationale et
devrait être prioritaire. Dans les faits, il est très difficile de faire la
distinction. Il y des cas où elle est claire mais il y a aussi toute une zone grise
où il difficile de savoir les motivations du demandeur d’asile. Ensuite, il faut reconnaître qu’il est
impossible d’atteindre un taux 0 d’immigration, à supposer qu’on le veuille.
Même les gouvernements les plus restrictifs laissent entrer des immigrants au
travers de trois canaux : le regroupement familial, l’asile politique et
l’immigration illégale. A propos de l’immigration illégale, il faut noter
qu’elle est souvent favorisée par ceux-là mêmes qui la condamnent. Elle leur
donne une main d’œuvre à bon marché, hors des lois sociales. Autre remarque, on
entend souvent dire que le problème de l’immigration pourrait être résolu en
aidant les pays qui en sont originaires de sorte qu’ils perdent toute raison de
s’expatrier. Ce « y’a qu’a » est on ne peut plus discutable pour deux
raisons. D’abord, cela ne résoudrait pas le problème de l’asile politique.
Ensuite, les sommes requises pour opérer un tel développement ne sont ni
politiquement ni financièrement concevables.
Le problème de l’immigration est paradoxal.
Du point de vue économique, elle est désirable surtout dans nos vieilles
sociétés mais du point de vue politique, elle semble difficilement acceptée.
Manque de pédagogie ? Sans aucun doute. L’immigration que connaissent des
pays comme la France est souvent subie plutôt que désirée. Par rapport à celle
des pays anglo-saxons, elle est moins diversifiée. Une grande partie des immigrés
en France sont originaires des anciennes colonies et sont rarement qualifiés (1).
De nombreux travaux de recherche basés sur les expériences passées indiquent
que dans le long terme les pays d’accueil ont bénéficié des flux migratoires
(2). Dans le court terme, on ne peut eviter qu’il y ait des perdants. Cela ne devrait pas être une surprise.
Plusieurs études ont été menées en Allemagne qui est sans conteste un pays
d’immigration. Il apparaît que l'effet global de la migration sur la croissance
des salaires est négatif car les migrants peu qualifiés sont embauchés avec des
salaires plus bas. De plus, les études sur le détachement de travailleurs dans
l'UE montrent que cet apport nuit à la syndicalisation et à la possibilité de
négociation collective complète.
Que retenir de tout cela ?
D’abord, il est évident que la France et la Belgique ne peuvent pas accueillir
tous les migrants qui voudraient s’y établir. Etant donne la structure
démographique et économique du monde, ce serait infaisable. Ensuite, il est
important d’accueillir correctement les réfugiés politiques dans les limites
des accords internationaux. Le regroupement familial devrait continuer à être
autorisé dans le cadre de la loi. Enfin, il faudrait avoir une vision de
l’immigration économique qui soit généreuse mais qui tienne compte des besoins
économiques du pays ainsi que de l’adaptation nécessaire des nouveaux venus à
une société qui a son histoire et sa culture.
Face à l’immigration, la gauche est non
seulement divisée mais aussi ambiguë. Il est important qu’elle adopte une
position claire et ferme face a ce qui devrait durer dans les décennies à
venir. Elle se doit aussi de rassurer cette fraction de la population qui se
sent menacée dans ses emplois et ses valeurs. Un effort accru de pédagogie et
d’empathie s’impose. Il importe de cesser de pratique la politique schizophrénique
selon laquelle on proclame de bons sentiments sur l’ouverture à l’autre et les
droits de l’homme et tout à la fois on tolère des pratiques indignes.
Pour conclure, dans le domaine de
l’immigration plus que dans d’autres, il est important de raison garder et de
se méfier des fameuses « fake news ». Prenons l’exemple de l’Afrique
subsaharienne qui devrait représenter 22 % de la population mondiale vers 2050
au lieu de 14 % aujourd’hui. On lit çà et là que dans 30 ans l’Europe sera
peuplée à 25 % d’immigrés subsahariens. Récemment l’excellent démographe
François Héran (4) montre qu’un ordre de grandeur réaliste serait cinq
fois moindre.
(1) Rapoport, H (2018) Repenser l’immigration
en France Un point de vue économique, Opuscules du CEPREMAP.
(2) Docquier, F., E.
Lodigiani, H. Rapoport, M. Schiff (2016). Emigration and Democracy, Journal of
Development Economics, 120, 209-223
(4) https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/europe-spectre--migrations-subsahariennes/
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