Pierre Pestieau
Dans
un livre récent (1), Christian Gollier défend l’idée que, pour lutter contre le
changement climatique, la bonne méthode serait simplement
de jouer sur les prix, avec une taxe carbone généralisée. En clair, rendre plus
chères les activités qui émettent du CO2, en fixant un prix à la tonne de
dioxyde de carbone émise. Le livre est fort intéressant, bien documenté et
marqué par une conviction profonde qu’il est temps d’agir mais qu’on ne le fera
qu’avec le soutien de la population. Le titre fait écho à un slogan des Gilets
jaunes qui en réponse à la hausse du prix du carburant, entrainée notamment par
la taxe carbone, voulait qu’on s’occupe davantage de leurs fins de mois que de
l’avenir de la planète et d’une éventuelle fin du monde. Le message de Christian
Gollier est que les deux objectifs sont conciliables.
Sans remettre en question le contenu de son livre, j’aimerais mettre sa recommandation
en perspective à la lumière de ce que nous enseigne l’économie publique. Je le
ferai en introduisant quatre bémols.
D’abord,
il me semble évident que, même si on parvenait à limiter l’émission de dioxyde
de carbone, tous les problèmes environnementaux ne seraient pas résolus, tout particulièrement
ceux qui concernent la biodiversité.
Ensuite,
une taxe carbone a nécessairement des incidences redistributives. Certes, on
pourrait l’accompagner d’une redistribution adéquate des revenus. Mais l’on
sait qu’une redistribution par l’impôt ne sera jamais optimale pour des raisons
d’information. En effet, l’autorité fiscale n’a qu’un pouvoir redistributif
limité dans la mesure où les contribuables ne revèlent pas tous les paramêtres
qui permettraient une taxation équitable. De toutes façons, dans la réalité, la
taxation des revenus est loin de corriger les injustices qu’entraineraient une
taxe carbone uniforme. En l’absence de redistribution compensatrice, la taxe
carbone peut s’avérer extrêmement régressive.
On peut aussi souligner que, pour être efficace, une taxe carbone doit être décidée par
l’ensemble des nations de manière coopérative. Si chaque nation la joue solo,
la partie se termine avec une taxe nettement insuffisante. C’est d’ailleurs ce
qui se passe. Certes on peut en appeler au bon sens, mais ici comme dans le
domaine des paradis fiscaux ou de la taxation du patrimoine, le règle dominante
est celle du chacun pour soi et du moins disant.
Enfin, même
si on oublie cette dimension internationale qu’impose la nature de bien public
mondial de l’environnement, il n’est pas simple d’imposer, fût-ce au sein d’un
pays, une taxe carbone optimale. Ceci nous entraine dans un débat risqué, lancé
il y a plus de dix ans par deux écologistes australiens dans un ouvrage intitulé
Le défi des
changements climatiques et l'échec de la démocratie
(2). Selon ces auteurs, la démocratie a, par son indécision chronique, prouvé
son incapacité à prendre les mesures nécessaires pour lutter contre les
changements climatiques. De là à recommander l’instauration d’un despotisme éclairé,
il n’y a qu’un pas qu’ils n’hésitent pas à franchir.
Il ne
faut pas conclure de ces remarques qu’il ne faut pas agir. Que du contraire.
L’urgence climatique n’est pas une expression creuse. Une taxe carbone est
utile mais elle doit être accompagnée de mesures visant à assurer l’équité et
touchant à d’autres domaines de l’environnement. Il serait naïf de penser que
la seule taxe carbone puisse résoudre tous les problèmes environnementaux.
(1)
Christian Gollier (2019), Le climat après
la fin du mois, PUF, Paris.
(2) David Shearman and Joseph Wayne Smit, (2007), The Climate Change Challenge and the Failure of
Democracy, Praeger.
Merci ! L'an prochain, je donnerai un nouveau cours à HEC Liège "financer la durabilité" et je compte bien entendu aborder la piste fiscale.
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