Pierre Pestieau
Dépendance chez soi ou en institution
Dans mes travaux sur la dépendance, j’ai de façon persistante, défendu
l’idée qu’il fallait augmenter les capacités d’accueil des personnes
dépendantes dans des maisons de repos et de soin, ce que nos amis français
appellent des EHPAD. La motivation était que face à une dépendance sévère,
l’aide informelle des époux et des enfants entraînaient des coûts
psychologiques et physiologiques trop importants. Cela reste sans doute vrai.
Cependant, le covid-19 nous montre une autre réalité, à savoir le coût énorme
en vies humaine que cette pandémie infliges aux résidents de ces institutions.
Les keynésiens de la onzième heure
On assiste à un phénomène fort intéressant, la conversion, sans
nul doute temporaire, des néolibéraux, que ce soit les personnes ou les
organisations du type IMF, au keynésianisme. Ce phénomène est apparu après la
seconde guerre puis après les différentes crises que nous avons connues. On
peut craindre que comme par le passé on revienne vite au bon vieux réflexe du
capitalisme qui consiste à mutualiser les pertes et à privatiser les profits.
La solitudes des ainés
A l’occasion du confinement, je passe beaucoup de temps à voir et à
revoir des films plus ou moins classiques. Dernièrement, j’ai ainsi revu le
film de Bertrand Tavernier « Un dimanche à la campagne » fortement
influencé par Renoir, le peintre impressionniste et pas son fils cinéaste. Le personnage
principal est Mr Ladmiral un peintre sans
réel génie, au crépuscule de sa vie. Il vit seul. Chaque dimanche, il reçoit
son fils, un garçon rangé, épris d'ordre et de bienséance, accompagné de son
épouse et de leurs trois enfants, et plus rarement, trop rarement, sa fille Irène, personne énergique et
anticonformiste. La préférence du père pour sa fille inconstante est toute
aussi évidente que classique. La scène qui a retenu mon attention est celle du
départ de la fille et puis du fils. On sent que le père est désemparé, car il
sait que dans quelques minutes il va se retrouver seul pour une longue semaine.
Mais tout à la fois il tient à rester digne, presqu’indiffèrent. Cette scène
m’a sans doute touché parce que je l’ai vécue avec ma mère.
Altruisme descendant
Au-delà de cette anecdote, il y a la réalité d’une asymétrie
dans les relations familiales. On observe dans toutes les sociétés que nous
aimons beaucoup plus nos enfants que nos parents. Partant, nous leur consacrons
davantage de temps et de ressources. Quoi de plus normal. Les enfants représentent
l’avenir. Personne ne perd, puisque chacun a été un enfant avant d’être un
parent. Ce constat explique pourquoi l’État consacre plus de ressources aux
ainés qu’aux plus jeunes. Il compense avec l’appui de la population cette
asymétrie dans l’altruisme, notamment par des systèmes de santé et de retraite
assez généreux. La crise que nous connaissons cette fois-ci semble indiquer
qu’il a failli dans cette tâche à l’égard des personnes âgées
institutionnalisées.
Coercition et
responsabilité
On peut se
demander s’il est indispensable d’obliger les gens à garder leurs distances en
cas de pandémie. Pourquoi ne le feraient-ils pas de leur plein gré ? C’est
l’hypothèse analysée par plusieurs chercheurs américains (2) sur base de
l’expérience de pandémies antérieures, et particulièrement celle de la grippe
porcine A / H1N1 en 2009. Leur conclusion est que la responsabilisation
pourrait marcher à trois conditions : une information parfaite, l’accès
généralisé aux tests de dépistage et des revenus de remplacement pour ceux qui
ne peuvent retourner au travail. Ces chercheurs montrent qu’à l’époque de cette
grippe porcine, les Américains ont volontairement réduit leur temps passé dans
les lieux publics de manière significative, ce qui a permis de sensiblement
réduire la contagion.
Pour revenir aux
trois conditions qu’ils mentionnent, seules une d’entre elles semble remplie, à
savoir une protection sociale qui couvre les gens qui ne sont pas en mesure de
travailler. Les deux autres conditions, l’information et le dépistage
généralisé, font défaut chez nous.
Endettement
insurmontable?
Partout on assiste
à une explosion des déficits publics et on craint de faire face à un
endettement incontrôlable. Il faut ici raison garder. Si on prend le cas de la
France, elle s’attend à une augmentation de 16% de sa dette. Cette augmentation
a été de plus de 100% en 1918 et en 1945, de quelque 50% lors de la crise des
années 30 et de 33% lors de la crise des subprimes.
Qui va
casquer ?
Les premières victimes de la pandémie sont bien sur ceux doivent être
hospitalisés avec parfois une issue fatale. A côté de cet aspect humain et d’un
point de vue économique, on peut distinguer trois parties dans le jeu des
gagnants et des perdants. Il y a d’abord ceux qui ont un statut qui, a priori,
les met à l’abri des pertes de revenus, voire d’emplois que la pandémie a entraînés.
On pourrait à leur propos ajouter qu’ils y ont gagné dans la mesure où leur
dépenses de consommation se réduisent. Il y a ensuite ceux qui verront leurs
revenus baisser. Enfin, il y a les générations futures qui auront à assumer
l’augmentation de l’endettement public. Au nom de l’équité inter- et
intra-générationnelle, il serait normal que ceux que le covid-19 a épargnés
prennent leur part au travers d’une cotisation exceptionnelle et qui doit être temporaire.
(1) Voir aussi
sur le même thème de la solitude et de la peinture “L’Heure d’été” d’Olivier Assayas,
2008.
(2) Bayham J, Kuminoff NV, Gunn Q, Fenichel EP. 2015 Measured voluntary
avoidance behaviour during the 2009 A/H1N1 epidemic. Proc. R. Soc. B 282:
20150814.
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