Pierre Pestieau
L’édition belge de Marianne (1) vient de consacrer aux experts
un dossier qui se place dans la ligne du livre de Laurent Mauduit Les
Imposteurs de l’économie (2). Cet ouvrage s’en prend à une petite
communauté jusque-là préservée des regards trop inquisiteurs : les
économistes, du moins ceux qui vivent à Paris, et qui sont des habitués des
médias. Il y est montré comment le monde de la finance « a réussi son OPA
sur celui des économistes », tissant de nombreux liens avec ces derniers,
et minant, selon lui, leur indépendance. Mauduit y voit une des raisons de la
permanence de la pensée libérale et un accroc à la démocratie. L’article de Marianne n’est pas aussi agressif que
Mauduit, mais racoleur dans son titre : Les experts : savants,
guignols ou imposteurs. Il s’interroge cependant sur la raison pour laquelle
nous avons besoin d’experts. Ont-ils vraiment l’expertise qu’on leur
prête ? Sont-ils totalement indépendants des groupes financiers ou de
toute idéologie ? On retrouve ici le dilemme qui devrait s’avérer faux en
politique : honnête ou compétent, mais qui souvent ne l’est pas.
Mauduit rappelle que lorsqu’un expert économiste est
présenté sur un plateau de télévision, il le sera comme professeur d’une
institution universitaire, et non pas comme consultant régulier de tel ou tel
groupe financier ou industriel. En bref, c'est un homme libre, sans attaches.
Si c’est le cas tant mieux, sinon...
Je me souviens des interventions de Daniel
Servan-Schreiber prématurément disparu qui défendait avec bagout son livre Guérir. L’homme était
séduisant ; il avait une double affiliation scientifique, française et
américaine. Ce livre a été un best-seller et, à sa suite, la demande en gélules
à base d'oméga-3 a énormément augmenté. Considérant que le marché français ne
proposait pas de gélules d'une qualité suffisante, Servan-Schreiber a contribué
à la formation d'une société commerciale dont il a créé et dirigé le conseil
scientifique. Cela lui a valu des critiques sur un lien supposé entre les deux
événements. Je dois avouer qu’à partir de là je n’ai plus pu l’écouter avec la
même oreille et ai arrêté d’avaler des oméga-3…
Mais revenons à notre propos. Pourquoi les journalistes
font-ils appel à des experts ? J’y vois plusieurs raisons. Parce-ce qu’il
est possible de leur faire dire en 30 secondes quelque chose de convenu mais
qui venant de leur bouche paraît objectif, voir scientifiquement établi. Et
aussi, pour créer un soi-disant débat d’idées qui lui aussi est parfaitement
convenu. On oppose des points de vue différents connus d’avance. L’avantage de
cette formule est de faire de l’audimat si le débat est suffisamment saignant. Ce
qui me dérange est que ces experts sont de véritables Pic de la
Mirandole ; il sont le plus souvent interrogés sur des sujets qu’ils
maitrisent à peine. L’idéal serait que
l’expert soit consulté sur un problème auquel il a travaillé
sérieusement et dont il est aussi capable de parler de manière accessible pour
éclairer l’auditeur. Cette situation où le vrai expert aurait un rôle à jouer
est malheureusement assez rare. Le spécialiste capable de communiquer n’est pas
fréquent, et il n’est pas certain que le public soit friand d’information
sérieuse.
Je regardais il y a peu un débat sur la crise Chypriote
dans une émission de débat qui passe sur France 5 : C’est en l’air. Sur le plateau, quatre spécialistes, des habitués.
Erreur de casting, l’un des « experts », un politologue connu, ne
semblait pas connaître le sujet, ce qui ne l’empêchait pas d’occuper son temps
de parole sans aucune vergogne. Il parlait vraiment en l’air. C’est le cas où, naïvement, on aimerait que l’expert refuse
l’invitation d’aborder un sujet dont il n’est ni un spécialiste ni même un honnête
homme averti.
Chacun d’entre nous est fait de contradictions. Nous nous
plaignons de la complexité du monde et aimerions le comprendre mieux. Mais nous
sommes aussi trop pressés ou trop fatigués pour prendre le temps de le
comprendre. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les médias fassent
appel à des experts qui, pour reprendre l’expression
de Patrick Le Lay, ex PDG de TF1, ménagent notre « temps de cerveau humain disponible ».
L’article qui suit donne un
exemple d’expert sorti de l'imagination fertile de mon collègue blogueur.
(1) Marianne,
Les experts. Savants, guignols ou imposteurs, 22 mars 2013.
(2)
Paris : Jean-Claude Gawsewitch, 2012.
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