Pierre Pestieau
Il y a quelques années et en guise de boutade à un collègue qui me demandait
sur quoi j’allais travailler après avoir consacré plusieurs années de
recherches aux retraites et à la dépendance, j’ai lancé : l’économie des
funérailles, ajoutant que le premier article aurait un titre digne de
Shakespeare: Enterrement ou crémation,
c’est la question. Etait-ce une simple boutade? Non dira un bon
économiste.
Tout naturellement il ne résistera pas à la classique analyse coûts/avantages.
Coûts financiers d’abord. En général, la crémation est nettement moins
chère que l’inhumation, mais ces coûts privés ne prennent pas en compte
l’impact environnemental qui est plus incertain.
Du côté des avantages, on aurait tendance à trouver l’inhumation plus vieillotte
et la crémation plus moderne. La visite des cimetières fait partie de la
tradition ; on y découvre, à l’occasion de la fête des morts ou de
funérailles, les pierres tombales sur lesquelles sont gravés les noms de
parents que l’on a peut être oubliés ou que l’on n’a jamais connus. Les
« grandes » familles s’y révèlent par leurs caveaux, souvent luxueux
au départ, mais aussi souvent à l’abandon aujourd’hui. Ces expériences de
mémoire ne sont pas imaginables dans un columbarium (du latin « niche de pigeon »), et a fortiori si les cendres sont dispersées. En revanche, les
cimetières sont tristement des lieux d’exclusion et de profanation. Les
suicidés n’y avaient pas leur place. Les extrémistes s’y défoulent de temps à
autre, ce qui est choquant mais, tout de même, moins que s’ils s’en prenaient à
des vivants.
Le coût relatif joue un
certain rôle dans l’augmentation des crémations, comme la mobilité croissante.
Même en Europe, nous ne vivons plus là où nos ancêtres ont vécu et sont morts.
En Amérique du Nord cela a toujours été le cas. Dans ces conditions, les
cimetières ne peuvent plus être un lieu de retrouvailles régulières. Il y a
aussi le temps. Les gens pressés n’ont plus le loisir de passer une journée
entière à ces funérailles que Brassens a si bien chantées. L’incinération
surtout quand elle se termine par une dispersion des cendres est apatride et
dans ce sens plus moderne.
Outre les facteurs économiques,
certains facteurs légaux et religieux ont pu expliquer pourquoi la crémation a
connu un démarrage lent dans nos contrées. En France, elle n’est autorisée que
depuis 1889. Il faudra attendre le début
des années 1990 pour que la crémation cesse d’être qu’une pratique anecdotique,
signe, le plus souvent, d’un esprit ouvertement libre-penseur et détaché des
croyances et pratiques religieuses. L’Eglise
catholique ne lèvera son interdit qu’en 1963. Selon les associations
crématistes (et non pas naturistes), en 1980, cette pratique était à peine
choisie par un pour cent des familles françaises. En 1994, on passe à 10,5%. Aujourd’hui,
on est à 30%.
Je ne peux résister à évoquer deux belles pages du cinéma
en faveur de l’une ou de l’autre « technique ». Il y a cette séquence
de Big Lebowsky des frères Cohen où
les deux protagonistes dispersent les cendres de leur ami mort d’une crise
cardiaque au bord d’une falaise donnant sur le Pacifique. Au moment où ils
procèdent à cette dispersion tant voulue par leur ami, une bourrasque rabat les
cendres sur eux qui s’en trouvent nappés, comme couverts de neige. Un bon vieil
enterrement leur aurait évité cette situation ridicule.
Il y a aussi le film Guantanamera
qui narre le transport rocambolesque d’un défunt à travers Cuba. A la fin d’un long périple le cercueil s’ouvre
accidentellement et révèle un défunt qui n’est pas celui que l’on voulait
transporter. Cela ne serait pas arrivé avec une bonne crémation. Les cendres
n’ont pas de couleur, sauf lorsqu’on s’en trouve nappé...
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