jeudi 30 mai 2013

Les pommes sont pourries


Victor Ginsburgh

Je suis un de ceux qui ne jurait que par Apple.

Mais voici. La Pomme, vient à peine de sortir d’une accusation concernant les maltraitances que ses sous-traitants font subir aux ouvriers chinois, en ce compris l’une ou l’autre explosion qui a tué quelques personnes. Les travailleurs sont soumis à des horaires épouvantables — certains racontent qu’ils en ont les jambes tellement gonflées qu’ils parviennent à peine à se tenir debout après la journée de travail—, ils sont amenés à utiliser des produits nocifs dans leur travail et sont logés dans des dortoirs surchargés. Des calicots flottent sur les murs des usines qui expliquent de manière à peine menaçante « qu’il faut travailler dur aujourd’hui, sans quoi il sera difficile de trouver du travail demain »  (1).

La Pomme subit depuis peu de temps une chute assez brutale de ses cours en bourse. Passés de $200 en janvier 2010 à $700 en septembre 2012, ils se retrouvent à moins de $400 en ce moment. On ne plaindra quand même pas trop ceux qui les avaient achetés avant janvier 2010.

Enfin, La Pomme subit les foudres (on verra que ce n’est pas très foudroyant un peu plus loin) d’une Commission sénatoriale américaine pour évasion (pas fraude) fiscale (2). Sur certains de ces revenus (quelques milliards de dollars), la firme paie moins d’un pour cent d’impôts au lieu de 35% qu’elle devrait, en se déclarant « résident d’aucun pays ».

Mais tout ceci est maintenant bien connu. Ce qui l’est sans doute un peu moins c’est l’accueil et l’admiration que ces dernières manœuvres ont reçu de la part des sénateurs républicains (à l’exception, il faut le reconnaître, de John McCain, le candidat républicain qui a perdu contre Obama en 2008) devant lesquels le nouveau patron d’Apple, Tim Cook, s’est expliqué. En bref, tout cela est très bon pour les actionnaires, l’Etat taxateur est méchant, et le rouler est en réalité presque une bonne action.

Le sénateur républicain Rand Paul qui se réclame du Tea Party faisait partie de la Commission. Il explique que ce serait de la « mauvaise pratique » de la part d’un responsable financier de ne pas faire tout ce qu’il peut pour minimiser la charge fiscale de la société dont il gère les finances. Bien vu, Rand Paul est un sénateur, ophtalmologiste de métier.

Tim Cook aurait modestement déclaré qu’il aurait pu faire mieux encore, mais son « honnêteté » l’a poussé à s’abstenir. Sous-entendu, Apple est « plus honnête » que bien d’autres. Evidemment lorsque les montants de revenus « évadés » sont rapatriés aux Etats-Unis, des impôts sont à payer, mais dit encore Cook, il espère bien que pour inciter les industriels à rapatrier ces fonds, il faudra, cela va de soi, réduire le taux de taxation… (3).

Ce qui fait dire au New York Times (4) que les sénateurs américains estiment qu’il vaut mieux être fraudeur (5) que collecteur d’impôts. Et à un éditorialiste du même journal d’écrire que Cook leur ment en faisant apparaître le soleil en pleine nuit (6), ce qu’ils trouvent admirable. Il faut bien dire que les législateurs qui créent les imperfections et les trous dans le système fiscal sont aussi les premiers à profiter desdites imperfections. Rappelez-vous du républicain à la Présidence en 2012, dont le taux d’impôts était moins élevé que celui d’un simple ouvrier.

Ce système n’est pas tout à fait inconnu en Europe non plus d’ailleurs.

(1) C. Duhigg and D. Barboza, In China, human costs are built into an iPad, The New York Times, January 25, 2012. http://www.nytimes.com/2012/01/26/business/ieconomy-apples-ipad-and-the-human-costs-for-workers-in-china.html?pagewanted=all
(2) La fraude est illégale, et punissable. L’évasion tire profit des possibiltés offertes par l’administration fiscale, et n’est donc pas punissable. Ce qui ne veut pas dire que l’évasion est éthique.
(3) F. Norris, The corrosive effect of Apple’s tax avoidance, The New York Times, May 23, 2013. http://www.nytimes.com/2013/05/24/business/making-companies-pay-taxes-the-mccain-way.html?pagewanted=all&_r=0
(4) M. Shear, Torches and pitchforks for I.R.S but cheers for Apple, The New York Times, May 22, 2013.
(5) En fait, ce à quoi s’adonne Apple, c’est de l’évasion et pas de la fraude fiscale.
(6) J. Nocera, Here comes the sun, The New York Times, May 22, 2013. http://www.nytimes.com/2013/05/23/opinion/nocera-here-comes-the-sun.html?nl=todaysheadlines&emc=edit_th_20130523

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