Pierre
Pestieau
« Trouvez-moi
un économiste manchot ! », s’est un jour écrié Harry Truman. Le
président en avait assez de ces économistes qui disaient « d’un côté – on the one hand – cela peut
arriver mais de l’autre côté, – on the other hand – il y aussi ceci ».
Si la nuance et l’équilibre font partie de la démarche scientifique, on peut
comprendre qu’ils soient frustrants au moment d’agir. C’est le sentiment que
l’on a aujourd’hui en écoutant les avis du FMI sur la politique à mener en
Europe et en Belgique tout particulièrement. D’une part, sous la houlette de
son chief economist, le français
Olivier Blanchard, il met les dirigeants européens en garde contre les
politiques d’austérité qui conduisent à la déflation et à la décroissance.
D’autre part, le FMI vient de coiffer la Belgique d’un bonnet d’âne en matière
budgétaire. Il ressort en effet de la dernière
livraison du Fiscal Monitor du
FMI (1) que la Belgique est le pays qui a
connu l’une des plus fortes croissances des dépenses publiques durant ces cinq
dernières années. Elle se situe juste derrière le Japon. En faisant une
comparaison avec des pays proches, le FMI note que ce n’est qu’en 2013 que de
réels efforts ont été consentis mais dans un contexte de croissance plus
faible. Tout en déplorant cet état de fait, le FMI reconnaît que n’étant pas
soumise à un régime d’austérité aussi sévère que de nombreux pays voisins du
sud mais aussi du nord, la Belgique affiche un taux de croissance au-dessus de
la moyenne européenne en 2013. D’où la question : faut-il se réjouir de ce
dérapage dans les dépenses ou le regretter ? D’autant qu’il ne s’est pas accompagné
d’un dérapage budgétaire, parce que simultanément la Belgique a augmenté ses
recettes fiscales.
A mon sens le gouvernement a sans doute raison de ne pas
pratiquer une austérité stérile mais il devrait le faire de manière rationnelle
et cohérente et non pas en évitant de prendre des décisions qui à terme sont
inévitables et nécessaires, mais qui, dans l’instant, peuvent être coûteuses
électoralement. C’est un peu comme la décroissance. On peut penser que la décroissance
ou en tout cas la croissance zéro est souhaitable pour des raisons environnementales
mais une décroissance voulue est tout à fait différente de celle qui résulte
d’une crise telle que celle que nous venons de connaître. Pour prendre un autre
exemple, on peut difficilement se réjouir d’une perte de poids par ailleurs nécessaire
si elle résulte d’un cancer alors que si elle procédait d’un changement dans
les habitudes alimentaires, elle serait la bienvenue.
En l’occurrence, l’augmentation de nos dépenses publiques n’est
pas vraiment voulue ; elle est essentiellement imputable à l’absence de maîtrise
budgétaire dans le domaine des soins de santé et des retraites. Ce serait tout
à l’honneur de notre gouvernement de maintenir que l’austérité budgétaire peut
attendre mais tout à la fois de réformer ses systèmes de santé et de retraites
et sa fiscalité. Cela permettrait de réorienter une partie des dépenses
publiques en direction d’investissements qui seront dans un futur proche
porteurs d’emploi. On le sait trop les coupes budgétaires des décennies
récentes ont eu les dépenses publiques d’infrastructure comme principales
victimes. Quant à la fiscalité, sans modifier le niveau des recettes publiques,
elle gagnerait en efficacité et en équité à être totalement refondue.
(1)
http://www.imf.org/external/pubs/ft/fm/2014/01/pdf/fm1401.pdf
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