Pierre Pestieau
Chaque année, la presse nous apprend
qu’à partir de tel ou tel jour, le citoyen lambda pourra travailler pour lui même,
alors que jusqu’alors, pendant le 6 ou 7 premiers mois de l’année, il
travaillait à perte pour un Etat vorace, un Léviathan sans pitié. On devine la manière
dont ce jour est calculé. Supposons qu’en moyenne le citoyen paye sous forme de
taxes diverses l’équivalent de la moitié de son revenu, alors le jour de libération
sera tout simplement le 1er juillet, la mi-année. Cet indicateur qui matérialise le nombre de jours de l’année où l’on
travaillerait pour l’Etat, soit pour des prunes, avant de commencer à
travailler « pour soi », est
évalué et communiqué chaque année par l’institut Molinari, un think tank
libéral franco-belge (1). A ce petit jeu, la Belgique est la meilleure. En 2015, son
jour de libération était le 6 août. Elle est suivie par la France qui connaît
son jour J le 29 juillet. Loin devant l’Irlande (28 avril) et le Royaume Uni (9
mai).
On notera en passant qu’un bon
citoyen pourrait prendre le point de vue opposé et commencer par compter les
jours où il travaille égoïstement pour lui même jusqu’au jour où enfin il peut
se consacrer a la collectivité. On peut toujours rêver.
Plus sérieusement. Il est intéressant
de voir ce qui se cache derrière ce concept ô combien idéologique de jour de libération.
Pour les besoins de la discussion, faisons quelques hypothèses dont nous nous écarterons
progressivement : (i) tous les individus sont identiques ; (ii) l’ensemble
des prélèvement obligatoires, taxes et cotisations, servent à financer des
transferts tels que les allocations de chômage, des biens collectifs tels que
l’infrastructure routière, ou des bien privés publiquement produits tels que la
santé et l’éducation ; (iii) les biens fournis par l’Etat le sont aussi
efficacement que ceux fournis par le marché ; et (iv) la perception des
cotisations et des taxes n’a pas d’effets désincitatifs.
Sous ces hypothèses, le verdict
est simple : le jour de libération a lieu le 1er janvier. Vous
achetez des biens privés aux prix du marché avec votre revenu disponible et des
biens et services collectifs avec vos cotisations et vos impôts. On l’a compris
le verdict serait différent si l’on relâchait les hypothèses qui viennent d’être
faites.
Dans une société où il y a des
riches et des pauvres, des jeunes et des vieux, des malades et des bien
portants, la mission distributive et assurantielle de l’Etat providence fera
qu’il y aura des gagnants et des perdants. Il est clair que le malade ou le chômeur
recevra plus que ce qu’il aura versé sur l’année considérée. Il est moins clair
que les services et biens publics qui sont financés par des taxes plus ou moins
progressives favorisent les plus démunis. On peut l’espérer mais ce n’est
toujours clair. Les classes moyennes bénéficient davantage de la gratuité de
l’enseignement et de la santé que les classes plus défavorisées. Des travaux
existent sur le sujet ; leurs conclusions sont loin d’être claires.
La deuxième hypothèse ne se vérifie
pas dans nos pays qui sont fortement endettés. Chaque année, le service de la
dette absorbe une partie non négligeable des recettes publiques et cet argent
est perdu pour la génération présente.
Enfin il y a les deux dernières hypothèses
qui voudraient que le secteur public soit aussi efficace que le secteur prive
dans le financement et la production des biens publics. C’est une hypothèse
abondamment discutée et pour certains extrêmement discutable. Du côté du financement, la désincitation
dépendra de ce que l’on attend de sa contribution. Si elle est destinée à la
redistribution ou au financement de biens publics, elle sera désincitante. En
revanche, si elle finance un service dont la valeur dépend du montant de la
contribution, la désincitation sera nulle. Du côté des dépenses, la question
est de savoir qui de l’Etat ou du marché est plus efficace. Il existe de
nombreux travaux sur le sujet. La conclusion la plus robuste de ces travaux est
que l’efficacité dépend davantage du caractère concurrentiel de l’environnement
que de qui de l’Etat ou du privé possède l’entreprise. Un
monopole privé sera ainsi moins efficace qu’une entreprise publique qui est régulièrement
soumise à des appels d’offre.
Pour me résumer, le jour de libération
devrait varier selon les individus. Pour certains, ceux qui bénéficient des
prestations de l’Etat providence sans y contribuer, il se situe bien avant le 1er
janvier ; pour ceux qui au contraire contribuent plus qu’ils ne
bénéficient des divers programmes publics, ce jour peut en effet se situer à la
mi-année. Ce qu’il importe de retenir de ce rapide exercice est que le concept
de jour de libération est beaucoup plus complexe et nuancé qu’il ne paraît au
premier abord.
(1) http://www.institutmolinari.org/IMG/pdf/fardeau-fiscal-eu-2015.pdf
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire