Pierre Pestieau
Les sociologues aiment distinguer les types d’Etat providence. Citons deux
taxonomies classiques. Il y a d’abord la typologie duale qui oppose deux
grands modèles : l’État-providence bismarckien, créé en Allemagne en
1880, et l’État-providence béveridgien, apparu au Royaume-Uni
après la Seconde Guerre mondiale. Le premier est fondé
sur le mécanisme des assurances sociales, dans lequel les prestations
sont la contrepartie de cotisations, tandis que le second, financé par l’impôt, fournit des prestations uniformes à tous les membres de la société. Il y
a aussi la typologie ternaire du
sociologue danois Espingo-Andersen qui distingue trois modèles. D’abord, un modèle libéral dans lequel l’État
n’intervient qu’en dernier recours et le rôle principal revient aux mécanismes
de marché. Les pays archétypes de ce modèle sont le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Australie. Ensuite, le modèle familio-corporatiste où la qualité de la protection sociale dépend de la profession et des
revenus, selon une logique d’assurance. La famille y joue un rôle prépondérant.
Relèvent de ce modèle l'Autriche, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et la France. Enfin, le modèle social-démocrate qui vise à
renforcer la possibilité d’une indépendance individuelle. Les principaux pays
qui se rapprochent de ce modèle : Danemark, Finlande, Pays-Bas, Norvège et Suède.
La question que l’on peut se poser est celle de la pertinence de ces
distinctions qui relèvent de l’histoire sociale et politique des pays concernés.
Quand on essaie d’évaluer la performance des Etats providence européens en
fonction de leurs objectifs traditionnels de protection et de redistribution,
on est frappé de voir que ces distinctions ne jouent qu’un rôle minime. Tout au
plus voit-on que les pays scandinaves performent mieux que les autres. De là à
penser que ces distinctions relèvent de ce que Marx appelait la superstructure,
il n’y a qu’un pas qu’il est tentant de franchir. Pour Marx, ce qui compte, ce
qui détermine les équilibres économiques et sociaux, c’est l’infrastructure,
les rapports de production qui dans nos sociétés sont régis par le capitalisme
financier et mondialisé et essentiellement motivés par la poursuite du profit. De cette infrastructure, qui régule l’activité de
production et la répartition des revenus, découle la superstructure. Le modèle
d’Etat providence comme la religion font partie de cette superstructure et
selon le point de vue marxiste ils jouent un rôle négligeable dans la
croissance et la distribution de ses fruits.
Je reconnais que c’est là un point de vue assez
fataliste et sans doute trop extrême ; il ne laisse pas de place à une
attitude volontariste. Il est nourri par l’invariance des inégalités des
revenus et de la richesse qui semble concerner tous ces pays.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire