Pierre Pestieau
Les relations entre dépenses de santé et longévité sont très ambiguës. La concomitance
entre la croissance des dépenses et celle de l’espérance de vie conduit souvent
à des causalités discutables. C’est ainsi que sur base des recherches les plus récentes
on peut faire deux affirmations quelque peu provocantes qui remettent en cause
ces causalités. D’une part l’allongement de la vie et plus généralement le vieillissement
n’expliquerait qu’une très faible partie de l’explosion des dépenses de santé.
D’autre part, les dépenses de santé n’expliqueraient qu’une partie réduite de
la chute de la mortalité.
Depuis plusieurs décennies, notre espérance
de vie augmente de 3 mois chaque année. En France, elle est aujourd’hui de 80
ans pour les hommes et 86 pour les femmes. On s’attend à ce que ces grandeurs
passent à 86 et à 91 ans en 2060. A quoi attribuer cette remarquable évolution ?
On a tendance à en accorder tout le mérite à la science médicale ; c’est
oublier que l’espérance de vie a considérablement augmenté même là où les dépenses
de santé étaient modestes. C’était l’objet d’un livre ancien mais fameux d’Ivan
Illich, La Némésis Médicale (1). Le
facteur qui semble le plus déterminant est ce qu’on pourrait appeler le mode de
vie. Au Royaume-Uni, une enquête menée sur 20.244 individus pendant quatorze
ans (entre 1993 et 2007), a permis d’étudier l'impact du mode de vie sur
l'espérance de vie (2). L'étude conclut que le « mode de vie idéal » —
absence de tabac, consommation d'alcool égale ou inférieure à un demi verre par jour,
consommation de cinq fruits et légumes par jour, exercice
physique d’une demie heure par jour — majore l’espérance
de vie de quatorze ans par rapport au cumul de quatre facteurs de risque (tabac,
alcool, manque de fruits et légumes et d'exercice physique) qui multiplie le
risque de décès par 4,4.
Venons-en aux dépenses de santé qui ces
dernières années ont augmenté très rapidement et qui augmenteraient sans doute
plus rapidement si elle n’étaient pas maîtrisées. Le vieillissement
démographique est souvent mis en avant pour expliquer cette hausse, sous le
prétexte que les personnes âgées consomment davantage de soins médicaux que
leurs cadets. Ce raisonnement en apparence logique oublie le rôle du progrès technique
médical qui a contribué à la hausse de ces dépenses. L’hypothèse de la
« proximité de la mort » est cruciale pour comprendre pourquoi
l’allongement de la vie ne contribue que modestement à la hausse des dépenses
de santé. Selon cette hypothèse, ce sont les dernières années de la vie qui
sont coûteuses et ce, indépendamment de l’âge de la mort.
A côté du vieillissement, il existe le
risque de demande induite liée à la quasi gratuité des soins de santé et à la rémunération
à l’acte. Mais ce risque est limité. Il semblerait donc que l’essentiel de la
hausse des dépenses est dû au progrès technique médical. Certes, ce progrès permet
de faire baisser certains coûts mais il fait aussi apparaître des traitements
de pointe qui remplacent des traitements moins onéreux et il contribue à
élargir l’éventail des interventions existantes. Selon certains chercheurs, le progrès
médical expliquerait jusqu’à 75% des dépenses médicales (3).
Ces dernières, qui représentent 12% du PIB en France, sont-elles
optimales ? On sait que les pouvoirs publics les maîtrisent. Reprenant
cette problématique, deux économistes américains (4) ont essayé d'estimer quel
pourrait être le niveau socialement optimal des dépenses de santé aux
Etats-Unis au milieu du XXIe siècle. Etant donné le « trend » du progrès
médical et la volonté des gens de payer davantage pour vivre plus longtemps en
bonne santé, ils estiment que les dépenses de santé devraient augmenter de 16 %
du PIB aujourd'hui à 30 % en 2050.
En appliquant ce raisonnement à la France, les dépenses e santé
grimperaient à 20 % du PIB en 2050. On demeure dubitatif pour deux raisons :
(a) Il faut se rappeler que, dans la plupart des pays, l’essentiel des dépenses
de santé est public et les gouvernements ont déjà de fortes contraintes
budgétaires et (b) la volonté de consacrer davantage à la santé ne se retrouve
pas dans le comportement des électeurs. A cela il faut ajouter que les besoins
médicaux ne sont pas les seuls. Il y a la culture, l’éducation, l’aide à la
dépendance, les transports, la retraite et bien d’autres besoins d’intervention
des pouvoirs publics. On atteint rapidement les 100%.
(1) Ivan Illich, (1975), La
Némésis Médicale. L’expropriation de la santé, Le Seuil
(2) Kay-Tee Khaw et al. (2008) Combined Impact of Health Behaviours and
Mortality in Men and Women: The EPIC-Norfolk Prospective Population Study
(3) Brigitte Dormont (2009), Les dépenses de santé. Une augmentation
salutaire ? Opuscules du CEPREMAP, Editions ENS, Paris.
(4) Robert E. Hall and Charles I. Jones
(2007), The value of life and the rise in health spending, Quaterly Journal of Economics.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire