jeudi 23 mars 2017

Pauvre Molière

Pierre Pestieau

S’il avait su que son nom d’auteur allait être utilisé à des fins identitaires douteuses, Molière aurait surement gardé son patronyme d’origine, à savoir Poquelin. Comment en est on arrivé là? Il y a une vingtaine d’années, une directive européenne a autorisé qu’un travailleur issu d’un Etat de l’Union européenne puisse être détaché dans un autre Etat membre tout en gardant les conditions de rémunération et étant assujetti à la sécurité sociale de son pays d’origine. En principe, le travail détaché devait répondre à un besoin de main d'œuvre spécifique et temporaire dans un domaine précis. Très rapidement la pratique du détachement s’est répandue. La France est le deuxième pays d’accueil derrière l'Allemagne et devant la Belgique. Le nombre de travailleurs détachés y est passé de 38 000 en 2006 à 210 000 en 2013 et 286 000 en 2015. Les trois premières nationalités concernées par les détachements en France sont les Polonais (46 000), les Portugais (44 000) et les Espagnols (35 000). Ils œuvrent essentiellement dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.


EN tolérant cette pratique, la communauté européenne permettait à ses États membres les plus pauvres d’améliorer leur position économique en profitant des avantages compétitifs que génère leur système de protection sociale moins développé. Avec la croissance du phénomène, la pratique du détachement est vue comme une incitation au dumping social. Et le retour en arrière n’est pas évident. C’est ici qu’apparaît la clause Molière. Pour freiner le recours aux travailleurs détachés, certains employeurs ont ajouté dans les contrats de chantiers publics une clause stipulant que les travailleurs doivent maîtriser le français, pour des raisons de sécurité, à moins de payer un interprète. La clause Molière permet d’éviter le recours aux travailleurs détachés, sans subir l’accusation de discrimination. Elle est soutenue désormais par plusieurs régions, départements et villes de droite. Sa légalité fait l’objet d’un âpre débat. Sa croissance crée des tensions auprès des travailleurs nationaux qui se voient privés d’emplois au profit de ces détachés qui coûtent beaucoup moins à l’employeur et peuvent être remerciés plus rapidement. Elle génère aussi une catégorie de travailleurs qui ne bénéficient pas de mêmes avantages sociaux que les nationaux. Une nouvelle forme de société à deux vitesses.

Il me semble clair qu’il faut lutter contre la pratique du détachement avec la même vigueur que contre le travail au noir. Il n’est pas digne pour un pays de sciemment accepter que sur son sol des travailleurs soient traités différemment pour un même travail. Que les employeurs y trouvent leur compte et même les travailleurs détachés est une autre question.


Dans ce domaine, il y a beaucoup de Tartufferie, ce qui nous ramene à Molière. Je me rappelle qu’il y a plus de vingt ans TF1 avait consacré une émission à un virulent réquisitoire contre le travail au noir alors que son propriétaire, l’entreprise de travaux publics Bouygues en était le principal bénéficiaire.

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