jeudi 9 mars 2017

Usure de la compassion. Usure de l’indignation

Pierre Pestieau

Est ce un phénomène nouveau? Ou est-ce dû à l’âge ? Il me semble que nous vivons dans un monde où nous avons perdu notre capacité de compatir et de nous indigner. Et pourtant les raisons ne manquent pas.

Les media, la presse, la télé et le web nous inondent d’images chaque fois plus horribles sur la misère dans le monde et la cruauté des guerres. Sur le petit écran, on peut voir des images qui n’auraient jamais été diffusées il y a quelques décennies. Pour voir des images de la shoah, il a fallu attendre de longues années, bien après la fin de la guerre. Aujourd’hui, les images les plus atroces sont livrées au grand public sans plus aucune précaution. Je me souviens des événements qui ont suivi l’indépendance du Congo. Nous avions une seule radio à la maison. Au moment où le ministre des affaires étrangères allait parler des viols de religieuses par des soldats révoltés, on demandait à nos parents de nous éloigner du poste. Il y a quelques jours, le journal de 20H montrait avec force détails un enfant dont les jambes étaient arrachées par un éclat d’obus. La plupart des gens qui ont vu ces images étaient sans doute en train de dîner et je doute qu’ils en aient perdu l’appétit.


Les mêmes media nous informant de l’état de délabrement de la morale dans nos démocraties. En Belgique, depuis des mois, on n’arrête pas de découvrir les malversations d’hommes politiques de tous bords et de toute langue qui protestent de leur innocence au nom de la légalité. En France, on trouve le même scenario dans les deux partis de droite. Les mêmes tartufferies, les mêmes cris d’orfraie. On ne s’étonne plus de rien et le risque est grand de désespérer de la démocratie.

Quand j’écris ces lignes, je me rends compte que cette fatigue compassionnelle ou cette indignation essoufflée varient sûrement d’une génération à l’autre. Le « plus jamais ça » qui a suivi la guerre 39-45 ne concerne plus la génération des jeunes d’aujourd’hui pour qui « Hitler connais pas » (1) n’est plus choquant. Quant à la corruption des élites, elle était moins visible et sans doute moins répandue il y a cinquante ans qu’aujourd’hui. On devinait qu’Eddy Merckx se dopait occasionnellement et qu’il était l’exception. Aujourd’hui tout le monde semble se droguer. Au « tous pourris » correspond le « tous dopés ». 

Que faire pour changer ce cours des choses et à nouveau connaître la compassion et l’indignation ? Sans doute retrouver des mécanismes qui nous permettent d’agir sur la politique. En un mot, réinventer la démocratie.


(1) Film réalisé par Bernard Blier en 1963 qui relate les témoignages de onze jeunes gens interrogés sur leur vie et leurs aspirations.

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