Pierre Pestieau
« Le Belge n’est pas prêt à lâcher sa voiture de société ». Ce titre à la une du Soir du 27 février se répète sans arrêt dans la presse écrite et audiovisuelle à ceci près que le sujet change. On peut remplacer « lâcher sa voiture de société » par « se coucher tôt », « prendre sa retraite anticipativement » ou encore « boire moins ou plus ». Plus précisément, on lira que 23% de Belges pratiquent une religion, 15% sont alcooliques ou 11% n’ont pas d’assurance automobile. Peu importe le thème, ce que je trouve irritant dans ces titres est qu’ils véhiculent de la mauvaise information. De deux choses l’une. Par Belge, on veut dire Belge francophone ou éventuellement wallon mais dans ce cas mieux vaut le préciser. Ou par Belge, on traite de l’ensemble du pays mais dans ce cas il faudrait donner les différences entre Flamands, Wallons er Bruxellois. Car ces différences sont importantes et peuvent se répercuter sur le choix de nombreuses options politiques.
Dans certains domaines, où les différences entre les deux communautés sont connues, les journalistes font la distinction. On pense au taux de chômage qui est moins élevé de moitié en Flandre ou la longévité qui y est plus élevée de près de 3 ans, ou encore aux résultats de l’enquête PISA sur le niveaux d’éducation des jeunes de 15 ans, qui elle aussi est favorable à la Flandre. Dans ces trois exemples, on fait la distinction, et c’est d’autant plus important qu’ils concernent des domaines où les pouvoirs régionaux et communautaires ont une responsabilité certaine. En général, on ne fait pas la distinction et cela peut se comprendre en partie. Dans les décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale, la plupart des Belges francophones pensaient que la Belgique était une entité homogène. Certes au nord, il y avait des gens qui parlaient un flamand local (on ne disait pas le néerlandais), mais quand il le fallait, ils se débrouillaient en français. La Belgique était encore unitaire, et à part la langue, il y avait sans doute plus de ressemblance entre un Limbourgeois et un Liégeois qu’entre un Limbourgeois et un habitant de la Flandre occidentale.
Dans le domaine sportif, c’était marquant. On oubliait au sud du pays que les coureurs cyclistes étaient pour la plupart flamands. Ils étaient avant tout belges et l’on se réjouissait autant de la victoire d’un Stan Ockers que de celle d’Alex Close, un des rares coureurs wallons de l’époque (1). Sans doute plus, car celui-là avait du panache. Les champions flamands avaient la gentillesse de répondre aux interviews radiophoniques en français et dans la presse écrite, ils avaient le style du journaliste qui rapportait leurs propos.
Ce qui est irritant c’est non seulement que la distinction n’est pas faite pour de nombreux sujets, mais que lorsqu’elle est défavorable à la Flandre, on n’hésitera pas à la faire. Un peu comme pour se rassurer. Je me souviens d’hommes politiques qui éprouvaient un grand plaisir à noter que la Flandre aurait un problème de financement des retraites plus grave que la Wallonie parce qu’on y vivait plus longtemps. C’est à en pleurer.
Pour conclure, ma recommandation est d’éviter de parler
des Belges quand on parle des seuls francophones. Je me rappelle une enquête
jointe du Soir et du Standard qui révélait l’intersection
quasi nulle entre les 10 livres les plus lus au nord et au sud du pays. De même
pour les films et les disques. L’affaire du fameux rappeur Damso est
illustrative. Après l’avoir invité à composer un hymne pour la prochaine coupe
du monde de football, la Fédération belge a du le désinviter parce que « les paroles de certaines de ses
chansons étaient explicitement sexistes et irrespectueuses envers les
femmes », selon le très respectable Washington
Post. Il semblerait que les Flamands aient été beaucoup plus concernés par
ce désaveu que les Francophones.
Cette nécessité
d’être clair me paraît essentielle pour deux raisons. D’abord, il s’agit de rigueur
intellectuelle. Ensuite, lorsque la comparaison nous est défavorable, ce qui
n’est pas toujours le cas heureusement, nous avons la possibilité de combler le
fossé en analysant les raisons de notre plus faible performance. C’est déjà en
partie le cas en matière d’enseignement et de médecine préventive.
(1) Ce sont deux coureurs de
mon enfance. Josephus Constant Ockers dit Stan Ockers est un coureur cycliste belge, né le 3 février
1920 à Borgerhout, mort le 1er octobre 1956 après une chute
sur la piste des Six Jours d'Anvers. Il a été coureur professionnel de 1941 à 1956. Alexandre Close dit Alex
Close,
né le 26 novembre 1921, à Moignelée et
décédé le 21 octobre 2008 à Ligny a été coureur cycliste belge professionnel
de 1949 à 1959.
La desigualdad publicada en www.alternativaeco.org
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