Pierre Pestieau
Du Petit Prince, le dessin de l’éléphant
avalé d’un seul coup par un boa m’a toujours plus impressionné que celui du
mouton. Il m’était difficile de ne pas l’oublier quand j’ai vu le profil de l’éléphant
utilisé depuis quelques années par les chercheurs qui s’intéressent aux inégalités
planétaires. A la différence de celui de Saint-Ex, la trompe de l’éléphant se relève
et c’est inquiétant (1).
Branco Milanovic, ancien économiste de la Banque mondiale et expert de
l'inégalité mondiale des revenus, est le premier à avoir introduit la fameuse
courbe de l'éléphant pour représenter graphiquement l’évolution de la distribution
des revenus des ménages au niveau mondial. Tout récemment, Thomas Piketty et
ses collaborateurs (2) ont actualisé les travaux de Milanovic afin de nous
expliquer la dynamique des revenus mondiaux.
Pour visualiser cette dynamique, on présente sur un axe horizontal les
percentiles de revenus et sur un axe vertical le taux de croissance des revenus
de chaque percentile. Les taux de croissance des percentiles inferieurs sont
bas en raison de la faible croissance dans les pays les plus pauvres, particulièrement
l’Afrique subsaharienne. A partir du 20ème jusqu’au 60ème percentile, les taux
de croissance sont assez élevés du fait de la croissance rapide des pays
émergents tels que la Chine et l'Inde. Ils retombent à partir du 70ème percentile
en raison de la faible croissance des revenus chez des pauvres et les classes
moyennes dans les économies avancées. Finalement, ils sont extrêmement élevés pour
les derniers percentiles en raison à l'explosion des gros revenus dans de
nombreux pays. Le percentile supérieur de la distribution gagne plus de 20% du
total revenu mondial actuel et il a capturé environ 27% de la croissance du
revenu total de 1980 à 2016. Par conséquent, on obtient bien une courbe en
forme d’éléphant avec une trompe se relevant fortement pour refléter la
situation des trop fameux 1% les plus riches.
Le travail de ces chercheurs est impressionnant et utile. Il demeure que je
ne me sens pas à l’aise dans cette approche propre à la Banque Mondiale et aux
Nations Unies qui consiste à traiter l’ensemble des pays de la terre sur le même
pied alors qu’ils sont dans des phases de développement différentes et ont des
cultures et des pratiques économiques dissemblables. Sur cette courbe de
l’éléphant, les pauvres des pays riches coexistent avec les classes moyennes
des pays émergents, les milliardaires russes, chinois, saoudiens, brésiliens et
sud-africains sont associés aux champions des classements du Forbes Magazine. Même si les Etats n’ont
plus la totale maîtrise de leur politique sociale et économique, ils demeurent
les seuls qui peuvent garantir une meilleure redistribution des ressources
nationales. Il me paraît donc essentiel de se focaliser sur la répartition nationale des richesses et des revenus,
plutôt que sur la répartition mondiale.
(1) Pour être précis,
chez St-Ex, ce serait plutôt la tête du boa qui se relèverait (voir le dessin).
(2) Facundo
Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, The
Elephant Curve of Global Inequality and Growth, AEA Papers and Proceedings 2018, 108: 103–108. Voir aussi des mêmes
auteurs : World Inequality Report 2018 < http://wir2018.wid.world>
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