Victor Ginsburgh
Rudy Giuliani, le grand justicier |
Donald Trump se dit au-dessus de la justice, en déclarant dans un tweet du
4 juin 2018 qu’il avait le « droit absolu » de se pardonner à lui-même
pour toute possibilité d’acte criminel (1). Il y a un peu plus d’un mois, il a
décidé d’ordonner à la justice d’enquêter sur l’investigation menée par Rober
Mueller. Et dans le courant de l’année 2017, il s’est arrogé le droit de faire
ce qu’il voulait avec son Ministère de la Justice. Il est d’ailleurs soutenu en
cela par sa nouvelle bande d’avocats, dont l’ex-maire de New York, le célèbre
Rudy Giuliani. Son père a été accusé d’infractions majeures (felony en anglais) et de cambriolages, il
a même passé un peu de temps dans la fameuse prison américaine de Sing Sing. Le
frère de sa mère était à la tête d’une organisation criminelle de prêts
usuraires et de salles de jeux. Bon, on va oublier, parce que le petit Rudy
n’est pas responsable de ses parents, mais il en a sûrement pas mal appris pour
« nettoyer », comme il disait, la ville de New York de sa pègre et
s’occupe aujourd’hui de remettre le « pégreux » Trump en selle.
C’est évidemment la voie la plus directe pour une bonne dictature, dont
certains pays de l’Union Européenne se rapprochent très sérieusement :
Hongrie, Pologne, Italie, Autriche et, m’a suggéré une collègue roumaine, la
Roumanie.
Le Belgique n’y est pas encore, encore que…
Encore que. A lire deux articles récents dans L’Echo, on a l’impression que la justice, qui devrait être rendue
dans des délais raisonnables et de façon égale pour tous, est en train de
s’engluer de plus en plus.
Le premier article a pour titre « Les délais d’appel devant la justice
bruxelloise ? Deux à trois ans » (2) : 4.500 nouveaux dossiers
tous les ans, environ 4.500 dossiers traités, mais 2,5 fois autant, soit 11.500
restés en rade dans les caves du Palais de Justice. Et ajoute le journal
« plusieurs départs à la retraite de magistrats sont prévus fin 2018, leur
remplacement n’est pas à l’ordre du jour, et les nouvelles nominations prennent
neuf mois ». On privilégie certaines affaires, certains dossiers sont
remis jusqu’à cinq fois et on laisse traîner les affaires pénales financières
qui profitent évidemment à ceux que nous savons : « on ne compte plus »,
écrit le journaliste, « les énormes dossiers à plusieurs centaines de
milliers d’euros qui capotent et dépassent le délai de prescription. Les
fraudeurs ont un boulevard devant eux ». Et les politiciens décident des
budgets. Vous voyez venir ?
Fête au Palais de Justice de Bruxelles |
Le deuxième est le résultat d’une interview de Frédéric Lutgens (3) qui en
rajoute en disant qu’« en justice, voir les dossiers financiers échouer
est pénible ». Lutgens, ancien juge d’instruction, aujourd’hui conseiller
à la Cour de Cassation, est spécialisé dans les grandes affaires
financières : KB, Lux, Tractebel, Kazakhgate dans lequel a trempé notre
élégant ancien Président du Sénat, Armand De Decker, enfin inculpé de trafic
d’influence il y a 6 semaines, alors que l’affaire était connue depuis 2011. En
général silencieux, M. Lutgens dit au journaliste qui l’interviewe :
« Je me suis assez souvent plaint de la manière dont les dossiers
financiers sont traités dans les repas entre collègues pour ne pas reculer au
moment où on me propose de m’exprimer » et qui se plaint de
« magistrats sans formation en matière pénale financière » tout en
évoquant « des raisons moins avouables » dans le chef de certains et
des délais de prescription ridiculement faibles pour des affaires qui demandent
des dizaines de milliers d’heures de travail pour être correctement comprises »
et, j’ose ajouter, des affaires évidemment montées par des avocats à
l’intelligence redoutable.
Et pendant ce temps-là, le Ministre de la Justice pense à une
« disparition programmée des juges d’instruction tels qu’ils
existent ».
La route, que dis-je, l’autoroute à cinq bandes vers l’absence de
démocratie est grande ouverte.
P.S. Merci à A. E. pour les fréquentes discussions sur ces questions et à
Julien Balboni, journaliste à L’Echo
pour ses articles remarquables sur la justice en Belgique.
(1) Charlie Savage, Trump and
his lawyers embrace a vision of vast executive power, The New York Times, June 4, 2018.
(2) Julien Balboni, Les délais
d’appel devant la justice bruxelloise ? Deux à trois ans, L’Echo, 25 mai 2018.
(3) Julien Balboni, Frédéric
Lutgens : « En justice, voir les dossiers financiers échouer est
pénible », L’Echo, 30 mai 2018.
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