Victor Ginsburgh
Le Conseil de la langue française et de la
politique linguistique, qui dépend du gouvernement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles (FWB), avait en 2015 suggéré de réformer l’accord du
participe passé. Et trois ans plus tard, Jean-Marie Klinkenberg, le linguiste
belge qui préside ce conseil, « souhaite une réforme parce qu’il est
impossible d’expliquer intelligemment le pourquoi de cet accord (1). La langue
c’est notre principal instrument pour nous situer dans la société, pour
avancer... Il faut que chaque citoyen puisse se sentir chez lui dans sa langue.
Tout ce qui l’infantilise et le fragilise on doit le corriger » (2).
Ce sont évidemment
ceux qui s’expriment le mieux qui veulent reformer la langue française. A titre
d’exemple, voici deux jolies phrases compétentes par iceux—forme
ancienne de ceux-là—qui sont responsables de l’enseignement (3) :
« Les autorités de la Belgique
francophone ne réformeront l’accord du participe passé qu’à condition que cela
se fasse dans un cadre international », a annoncé un responsable de la FWB,
entité compétente sur ces questions.
A partir d’aujourd’hui, il faudra doncques
dire « qu’à condition que » au lieu de « pour autant
que ».
Eric Etienne, porte-parole de la ministre
de l’Education, Marie-Martine Schyns, a également déclaré que « avancer
là-dessus devrait se faire dans un cadre international, sinon ça n’a pas beaucoup
de sens ».
Encore que la forme « avancer
là-dessus » soit permise—que
l’on peut aussi mettre à l’indicatif en écrivant est permise (4)—elle n’est pas plus élégante que « avancer
là-dessous ».
La Belgique propose de changer l’accord du participe passé
selon que le complément d’objet direct précède ou suit—ici le subjonctif est
prescrit, en tout cas par l’Office québécois de la langue française—le
verbe : On pourra par exemple écrire « les crêpes que vous avez
mangé ».
Et Libération (5), toujours à l’avant-garde,
publie un article écrit par deux anciens professeurs de français (belges
d’après le nom du premier en tout cas) qui estiment que « l’incohérence des règles traditionnelles empêche [les
professeurs] de donner du sens à leur enseignement. Le temps moyen consacré aux
règles actuelles est de 80 heures, pour atteindre un niveau dont tout
le monde se plaint. Il serait tellement plus riche de le consacrer à développer
du vocabulaire, apprendre la syntaxe, goûter la littérature, comprendre la
morphologie ou explorer l’étymologie ».
J’aime surtout les mots italisés de cette dernière
phrase qui propose de consacrer plus de temps à l’étymologie des mots.
Comment peut-on explorer l’étymologie du français si l’on enseigne de moins en
moins le grec (et le latin).
J’ai acheté un
dictionnaire de grec ancien il y a quelques années, au moment où la Grèce,
prise dans l’étau de ces créanciers, allait si mal. Je voulais me rappeler un
peu le grec ancien du lycée et les premières syllabes que nous apprenions en
riant assis sur, ou plutôt couchés sous, nos bancs en quatrième année —
c’est-à-dire en troisième depuis la « modernisation » de la
numérotation des années études : « hemeras he selené », qui
signifie le jour (au génitif) et la lune au nominatif. Etant donné l’écriture
grecque que nous utilisions encore mal, dont le rho qui ressemblait à un f,
nous transformions « hemeras he selené » en « et mes fesses et
ses nénés », bien avant de connaître le plus compliqué et plus célèbre
« ouk elabon polin, alla gar elpis efe kaka ».
Aujourd’hui, mon
grec se résume à lire ce vieux dictionnaire et, très régulièrement, à me casser
la tête pour retrouver les sources étymologiques de pas mal de mots français,
que je me représente toujours en caractères grecs : c’est mon clin d’œil quotidien, ou presque, à
la Grèce, mais c’est aussi un exercice qui rafraîchit sans cesse ma mémoire
vieillissante.
Et si vous me le
permettez, je continuerai à traiter les crêpes comme dans le temps et à penser
au grec quand j’écris le mot ortografe. Ni l’un, ni l’autre n’est (ou ne sont)
impossible(s).
(1) Pas plus, cher
collègue Klinkenberg, qu’on ne peut expliquer pourquoi les verbes qui se
terminent en -er, -ir, -oir et –ire se conjuguent différemment, pourquoi il y a
des exceptions dans les pluriels de certains mots et bien d’autres choses encor
(qui est toujours écrit avec e, sauf
exceptionnellement dans ce cas-ci, je me sens poète et veux éviter une syllabe qui
dépasse mon alexandrin).
(2) Accord du participe passé: la demande de changement de règle vient aussi
de l'étranger, RTBF. https://www.rtbf.be/info/dossier/rtbf-culture/detail_participe-passe-la-demande-de-changement-vient-aussi-de-l-etranger?id=10013967
(3) Accord du participe passé: la Belgique ne réformera
pas seule, Le Vif, 8 septembre 2018.
(4) « Le subjonctif est le mode du virtuel, autrement dit de
l’action moins effective qu’envisagée » (Bruno Dewaele, professeur de
lettres modernes à Hazebrouck, France!). C’est plus compliqué que le complément
d’objet direct avant ou après le participe passé.
(5) Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, Les crêpes que
j’ai mangé : Un nouvel accord pour le participe passé, Libération, 2 septembre 2018.
Ah la bonne Pauline est de retour...
RépondreSupprimerAlors que c'est si simple d'expliquer pourquoi... Le but de l'orthographe et de la grammaire n'a jamais été de simplifier l'écriture ; ça a toujours été de simplifier la lecture.
RépondreSupprimerLes accords, les conjugaisons, tout cela n'a d'autre finalité que de permettre au cerveau, quand il interprète ce qu'on lit, de confirmer les relations entre les différents éléments du discours. Chaque fois qu'on "simplifie" pour permettre d'écrire plus facilement, on complique la lecture.
Or, je ne sais pas si vous avez remarqué, un texte une personne l'écrit une fois (oui c'est du Belge) mais plusieurs personnes le lisent plusieurs fois...
Les langues ont toutes leur soi-disant incohérences... autant de particularités qui contribuent à leur identité. Ces "linguistes" sont des apprentis sorciers.
RépondreSupprimerLes langues ont toutes leurs soi-disant incohérences... autant de particularités qui contribuent à leur identité. Ces "linguistes" sont des apprentis sorciers.
RépondreSupprimertrès à la mode, mais moches et à mon avis incorrects:
RépondreSupprimer-"au final" au lieu de "à la fin" (comme on dit "au début", et pas "au initial")
-"il est sur Paris" (NB: ce n'est pas un prénom, mais une ville), au lieu de "il est à Paris"