Pierre Pestieau
Il y a une dizaine d’années, j’ai vu un film de Jean Becker, La Tête en Friche, qui raconte l’amitié
qui lie un illettré cinquantenaire à Marguerite, une nonagénaire cultivée. A la
fin du film, Marguerite est forcée de quitter sa maison de retraite, sa famille
ne pouvant plus payer sa pension. Elle part vivre en Belgique.
A l’époque, je trouvais étrange qu’une Française soit contrainte d’émigrer
en Belgique pour y trouver un accueil à la fois plus confortable et moins
onéreux. Je savais que les Français fortunés n’hésitaient pas à traverser la
frontière pour y trouver un asile fiscal mais je n’imaginais pas que ce fut le
cas pour les personnes âgées.
Avec le vieillissement démographique et les risques de dépendance,
certaines familles doivent trouver des solutions quand un des leurs perd son
autonomie. Une solution est de faire venir une aidante d’un pays où les
salaires sont tellement bas que l’arrangement soit rentable pour les deux
parties. Le plus souvent, il s’agit d’un travail non déclaré avec les risques
que cela présente. Je me souviens d’une collègue grecque qui vivait aux Etats
Unis et avait confié sa vieille mère qui souffrait d’Alzheimer à une jeune
Bulgare. Un jour au milieu d’un congrès, elle reçoit un appel d’Athènes.
C’était un des voisins de sa mère qui lui signalait que la pauvre errait dans
l’immeuble. L’aidante était retournée en Bulgarie après avoir dévalisé son
appartement.
L’autre solution est de placer le parent dépendant, dont on ne peut
s’occuper et qui financièrement ne pourrait pas être placé dans le pays où l’on
réside, dans un pays où les coûts sont plus faibles. C’est ainsi que la
Roumanie et la Hongrie accueillent de nombreux Belges et Français ayant perdu
leur autonomie. Le père d’une amie new-yorkaise qui souffrait de démence avait
été placé dans un home au Mexique, avec pour implication qu’elle n’a
pratiquement plus revu son père (1).
Revenant à nos amis français qui cherchent asile dans une de nos MRS
(maison de repos et de soins, ce que les Français appellent EHPAD (2)), tout
n’est pas rose ; il existe des coûts cachés. Le plus important est sans
doute l’éloignement de la famille pour les familles qui ne sont pas proches de
la frontière.
En outre les résidents français ont l’obligation de se domicilier en
Belgique après trois mois, ce qui peut entraîner la perte de certaines
allocations sociales. Autre conséquence : les impôts en fin d’année. Une
personne qui n’est pas imposable en France peut être amenée à payer des impôts
plus élevés en Belgique qu’en France. Pour ceux qui garderaient leur
nationalité française, certaines communes ont instauré une taxe de seconde résidence.
Bref ces coûts ne sont pas à négliger mais ils ne suffisent pas à décourager
ce flux de retraités français vers l’eldorado belge. Cela ne pose pas encore de
problème politique mais il n’est pas impossible que le vent tourne le jour où
les Belges auront eux-mêmes des difficultés à trouver une MRS pour accueillir
leurs parents dépendants. Raison de plus pour souhaiter que le gouvernement français
prenne enfin la mesure du problème et augmente le nombre de ses EHPAD.
(1) On
pourrait aussi evoquer Indian Palace,
ce film britannique de 2012 qui narre l’histoire de plusieurs retraités
britanniques qui coupent toutes leurs attaches et partent s’établir en Inde,
dans ce qu’ils croient être un palace au meilleur prix.
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