Victor Ginsburgh
Vous aurez sans
aucun doute remarqué que tous les journaux que vous avez lus il y a deux ou
trois semaines ont semé la panique chez ceux qui boivent un peu d’alcool. Comme
moi par exemple.
L’article
annonciateur de la fin de nos jours a paru dans la célèbre revue médicale The Lancet (1). Vous constaterez que,
contrairement à mon habitude, je ne donne pas les noms des auteurs dans la
référence de bas de page, parce qu’ils sont au moins 521,5 à s’y être mis pour
nous raconter que plus nous buvons, plus nous allons mourir.
L’article long de
37 pages consacre 21 pages à la liste des noms des auteurs et des institutions
qui ont participé à l’étude. Pourquoi 521,5 auteurs (2) ? Parce qu’ils ont analysé
les résultats obtenus dans 195 pays en se livrant à une méta-étude, genre de truc très à la mode de nos jours. Près de 700
bases de données et 592 études ont été survolées et cet article les résume
toutes, en introduisant une grande nouveauté : les touristes et le
tourisme, deux mots cités 13 fois, presque plus souvent que le mot
« alcohol ». Pas que les touristes boivent ou ne boivent pas, mais
dans les études précédentes, ils les avaient été oubliés. Comme si les
touristes venaient de la lune et pas d’un autre pays où ils étaient évidemment déjà
comptabilisés comme buveurs ou sobres.
Bref.
Venons-en au résultat
essentiel, parce que le reste de l’article est un vrai charabia—à croire que 521,5
scientifiques qui écrivent ensemble tout en buvant ne peuvent pas écrire autre
chose que du charabia.
Résultat
essentiel donc, annoncé dans le résumé en page 2 de leur article :
Le niveau de consommation d’alcool qui minimise le
mal que vous vous faites en buvant est zéro verre par semaine,
c’est-à-dire pas
seulement zéro verre chaque semaine, mais zéro verre pendant toutes les
semaines de chaque mois, tous les mois de chaque année, toutes les années de
votre vie, sauf le dernier jour. Là, vous pouvez vous laisser aller sans aucun
problème : il ne vous arrivera plus rien.
Château Margaux 1787 |
L’article du Lancet est honnête, puisqu’il rapporte,
mais sans insister, que les seules variables dites de contrôle (qui servent à réduire les disparités entre personnes sur
lesquelles les enquêtes portent) sont le pays, l’âge et le sexe des picoleu.r.se.s
et des non-picoleu.r.se.s. C’est bien d’être honnête, mais ce que ces 521,5
chercheurs ont fait risque de sérieusement biaiser les résultats statistiques
et économétriques. En effet, dans l’étude, on ne distingue pas qui fume ou non,
qui est riche ou pauvre, qui a un héritage génétique favorable ou défavorable,
qui mange quoi, des éléments qui ont tous un sérieux effet sur la santé.
Supposons par exemple que tous les buveurs de trois verres ou plus soient des
fumeurs. Si on ne tient pas compte de ce fait, on ajoute l’effet fumeur à
l’effet alcool, mais c’est l’alcool qui est accusé, alors que c’est peut-être
la cigarette qui est la cause. Vais-je mourir plus vite en buvant ma
demi-bouteille de Château Margaux (3) par jour si je fume aussi, ou bien le
fait de ne pas fumer allongera-t-il ma vie si je bois les trois mêmes verres de
Margaux ? Sais pas...
Lorsqu’un
étudiant vient me demander si avec des mauvaises données, il pourrait quand
même avoir de bons résultats, je lui dis qu’il n’a aucune chance de voir son
article paraître dans une bonne revue économique. Ce qui m’amène à donner le
conseil suivant à mes collègues économistes : Si votre article est basé
sur des données merdiques, soumettez-le à la meilleure revue de médecine dans
le monde : The Lancet. Il sera
accepté et vous deviendrez célèbre.
Heureusement, le New York Times (4), dont le style est
simple, mais la parole est d’or, veille au grain : « La vérité est
bien moins journalistique (newsy) et bien plus mesurée » que celle propagée
par le Lancet. Le NYT interprète comme suit les
résultats :
(a) Sur 100.000
individus qui boivent un verre par jour pendant toute l’année, 918 (0,9 sur
100) pourraient souffrir d’une des 23 maladies analysées dans l’étude du Lancet que l’alcool et bien d’autres
choses pourraient provoquer. Les autres 99.082 ne sont pas affectés par cette
ingestion.
(b) Parmi ceux
qui ne boivent rien, 914 pourraient avoir un problème de santé malgré tout.
(c) Le résultat
est donc que 4 individus sur 100.000 qui consomment un verre par jour auront un
problème de santé causé par le verre d’alcool.
(d) Si l’on passe
à deux verres par jour, le nombre de problèmes de santé s’élève à 977, soit 59
de plus que ceux qui ne boivent qu’un seul verre.
(e) Même en
buvant cinq verres par jour, la grande majorité des individus n’encourt aucun
problème.
« Considérez »,
écrit aussi l’auteur de l’article du NYT,
« qu’avaler 15 desserts par jour est mauvais pour la santé. Je peux vous
faire un graphique du même style [que ceux du Lancet] : vous risquez de nombreuses maladies entre zéro et 15
desserts. Ce qui pourrait vous faire conclure, comme le fait le Lancet, que le nombre optimal de
desserts que l’on peut manger sans courir de risque est zéro ».
Ouf, j’aime bien
les desserts aussi. Et, en dehors de tout résultat statistico-économétrique
sérieux — et celui du Lancet ne l’est
pas — peux allègrement me dire que c’est le Margaux qui me sauve de la mort
causée par les desserts.
(1) 521.5 authors, Alcohol use and burden for 195
countries and territories, 1990-2016: A systematic analysis for the global
burden of disease study 2016, The Lancet
August 23, 2018.
(2) A vrai dire, je ne les ai pas comptés, parce
que j’avais bu un verre de vin et ne parvenais plus à compter juste. J’ai donc compté
les lignes (149) et le nombre moyen des noms par ligne (3,5), ce qui fait, pour
autant que je ne voie pas double 521,5 auteurs.
(3) Pierre Pestieau me fait remarquer qu’étant
donné le prix de ce vin je serai mort de faim avant de mourir alcoolisé.
(4) Aaron E . Carroll, Study causes splash,
but here’s why you should stay calm on alcohol risks, The New York Times, August 28, 2018.
Ouf, voilà de quoi me rassurer ! Merci Victor...
RépondreSupprimerA diffuser largement, au-delà de ton blog, aussi parmi nos collègues, et néanmoins amis, économètres.
Merci Victor pour dénoncer ce genre d'études ridicules .Mais il faut aussi poser la question du financement salaires des universitaires en question....
RépondreSupprimerEn cette époque troublée la science a fort à faire pour protéger les intempérants de mourir quelques semaines plutôt. Tous ces chiffres pour quelques jours de plus ?... dans ce combat perdu d'avance, la disproportion saute déjà aux yeux, mais n'y suffit pas. Le vin sort de son (ses deux) verre(s) par jour, fait sa gymnastique de diable, et achève de semer la confusion dans ce projet désespéré. Le divin breuvage, il est vrai, possède sur terre un allié précieux, "V." : vin ?... victoire ?... Luc C.
RépondreSupprimer