Victor Ginsburgh
J’ai besoin de vous, lecteurs, pour que vous
puissiez m’imaginer, parce que je n’existerais pas si vous n’existiez pas
(Vladimir Nabokov, Lolita).
J’ai acheté Lolita de Vladimir
Nabokov dans les années 1960, sur les quais de la Seine. A l’époque, le livre avait
paru en deux petits volumes dans une collection interdite un peu partout et
surtout aux Etats-Unis. J’en vois « par cœur » la couverture verte qui
ressemble au vert de la Collection Verte dans laquelle je lisais Jules Verne
lorsque j’étais encore plus jeune. Il faut dire que sur les quais, on trouvait aussi
et sans problème Histoire d’O, publié
chez Pauvert, mais interdit en librairie en France.
J’ai lu « mon » Lolita à
un âge (70 ans) où j’étais bien plus vieux que Humbert Humbert (âgé de 36 ou
37ans) qui avait rencontré Dolores dite Lolita alors qu’elle en avait 12.
« Ma mémoire oppose sans cesse mes
voyages à mes voyages, montagnes à montagnes, fleuves à fleuves, forêts à forêts, et ma vie détruit ma vie. Même chose m’arrive à l’égard des sociétés et des
hommes”.
Voici les premières lignes, tellement plus
sophistiquées, de Nabokov:
« Lolita,
light of my life, fire of my loins. My sin, my soul. Lo-lee-ta: the tip of the
tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three, on the
teeth. Lo. Lee. Ta. »
Et le
reste de l’ouvrage (que Nabokov a écrit en anglais) continue sur ce rythme. Impossible à reproduire en français et même
en russe, ce que Nabokov n’a pas manqué d’essayer, sans réussir, évidemment
avoue-t-il.
Nabokov avait
une plume remarquable, mais je ne veux pas vous embêter avec de la critique
littéraire, que je serais en peine de faire, mais bien de l’effet que sa
lecture a provoqué en moi lorsque j’avais 70 ans. Contrairement à sa
réputation, et que metoo existe ou
pas, ce livre est, à mes yeux, un plaidoyer absolument implacable contre des
vieux (à partir de 36 ans, comme l’était Humbert Humbert) qui tombent amoureux
de jeunes (ou moins jeunes) filles. Lolita avait douze ans et était dotée d’une
subtilité qu’aucun homme ne peut comprendre, si ce n’est Nabokov qui était, par
ailleurs, chasseur de papillons. Humbert Humbert sort complètement ridicule de
l’affaire, et l’héroïne s’envole vers d’autres ciels ou cieux, pas tellement
glorieux d’ailleurs.
Lolita est une fable dédiée aux hommes (au sens de mâles) que le meilleur des
fabulistes aurait été incapable d’imaginer.
Tout en
m’interrogeant depuis longtemps si j’avais raison dans mon interprétation de « fable »,
je tombe par hasard sur un article (1) qui montre que ni dans le livre ni dans
le film qu’en a tiré Kubrick en 1962, il y a érotisme et encore moins,
pornographie. Le scénario de Kubrick (avec lequel Nabokov était d’accord) est
« ironique » écrit Pauline Kael, critique américaine de cinéma très
écoutée : « La surprise de Lolita est que le film est en réalité,
agréable ; c’est la première comédie américaine depuis la grande époque
des années 1940 ». Et elle ajoute qu’il s’agit d’une comédie bien plus
excitante que Certains l’aiment chaud,
le plus célèbre film de Billy Wilder. Kael fait aussi remarquer que ce n’est
pas la relation entre Humbert et Lolita qui est intéressante, mais bien celle
de Humbert et de Quilty (joué par Peter Sellers), son alter ego, qui confronte
Humbert à son propre caractère pathétique.
Ce qui me ramène à mon interprétation de Nabokov
fabuliste.
La scène
la plus érotique, suggère Uri Klein, est celle où Humbert Humbert peint les
ongles des doigts de pieds de Lolita (2). On a vu pire (ou mieux) depuis… Et
pourtant, continue-t-il, qui oserait aujourd’hui, produire un remake de Lolita ?
(1)
Gene Phillips, Lolita, a cinematic classic, New
York Times, March 29, 1998. Phillips est l’auteur du livre Stanley Kubrick. A Film Odyssey.
(2)
Uri Klein, Who would dare remake ‘Lolita’ in the age of metoo?, Haaretz,
April 16, 2018.
Cher Victor, je ne te savais pas, aussi, critique dans la littérature érotique! Bravo. Je vais sans tarder lire ce livre et regarder le film, avec Jacqueline, cela va de soi! Je te ferai part de mon avis en temps utile. Amitiés André
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