Pierre Pestieau
Une des motivations majeures que l’on trouve dans les différents projets de
réforme des systèmes de retraite est l’idée bien légitime qu’il faut préserver
le bien être des générations à venir. Il existe de nombreuses méthodes qui
permettent de montrer que la dette que nous laissons à ces générations est exorbitante,
nettement plus élevée que la seule dette publique, qui, soit dit en passant,
n’est pas négligeable en France comme en Belgique, puisqu’elle tourne autour de
100% du PIB.
Une autre façon, moins précise mais plus parlante, de mesurer cette
iniquité intergénérationnelle est de comparer les taux de pauvreté des
personnes âgées avec celui des jeunes. Ici aussi le verdict est sans appel. La
pauvreté est plus élevée chez les jeunes que chez les vieux.
Comment expliquer cette disparité qui n’est pas due au seul système de
retraites ? Une explication courante est politique. Le poids électoral des
personnes âgées n’aurait jamais été aussi élevé qu’il ne l’est aujourd’hui.
C’est un peu court. Certes l’âge médian ne cesse d’augmenter mais il se situe
bien en deçà de l’âge de 65 ans. Au Japon et en Allemagne, les premiers de la
classe, il est respectivement de 46,5 et 46,3 ans. En Belgique et en France, il
est de 41,9 et 41 ans.
L’explication pourrait être ailleurs. Elle se trouverait dans la perception
erronée que l’électeur lambda peut avoir des mérites relatifs des jeunes et des
vieux en situation de précarité. Dans l’idéologie libérale, qui nous vient des
Etats Unis et du Royaume Uni, on a pris l’habitude de distinguer les pauvres
méritants et les pauvres non méritants. On a en tête l’image de la dame patronnesse
qui, au sortir de sa messe dominicale, examine la file de mendiants et choisit
celui ou celle qui mérite d’être aidé pour une série de raisons liées à
l’apparence.
Selon cette idéologie, le pauvre mériterait
d’être aidé si l’on juge qu’il ne peut sortir de son état de pauvreté. Ce sera
le cas s’il souffre d’un handicap observable. Si ce n’est pas le cas, et qu’il
est jeune, on le soupçonnera de simuler une incapacité à subvenir à ses besoins
et éventuellement à ceux de sa famille. Apres tout, comme le dit le président
Macron, il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi. C’est
naturellement oublier toutes les bonnes raisons pour lesquelles une personne
jeune et apparemment en bonne santé peut se trouver dans un état de pauvreté.
Il y a tous les problèmes psychologiques et physiques non visibles dont elle
peut souffrir. Il y a aussi le manque de formation professionnelle et un marché
du travail déprimé qui peut expliquer l’impossibilité de trouver un emploi.
Beaucoup d’hommes politiques de droite à commencer par Laurent Wauquiez, le
président des Républicains, insistent sur cette notion de mérite. Ils affirment
que certains ne font pas les efforts nécessaires pour s’en sortir : ils
soupçonnent les pauvres de prendre indûment du bon temps en vivant aux crochets
de la solidarité nationale, voire de frauder. Ils utilisent des anecdotes
isolées en les généralisant sans scrupule pour étayer leur argument et demander
un renforcement des contrôles et une réduction des prestations.
Les personnes âgées ne souffrent pas de ce soupçon sur le mérite. Même le
libéral le plus obtus doit admettre qu’il ne leur est pas possible de trouver
un emploi. Quoique, aurait dit Raymond Devos, dans certaines sociétés on ne
s’offusque pas de voir une personne frôlant la maladie de Parkinson trimer dans
un McDonald.
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