Pierre Pestieau
Nul ne peut nier que si l’on veut vivre
longtemps et en bonne santé il vaut mieux ne pas fumer, ne pas boire, suivre un régime alimentaire sain et
faire un exercice physique modéré. En d’autres termes se tenir à l’écart des
quatre péchés capitaux que sont
l’alcoolisme, le tabac, la sédentarité et l’obésité.
Rien à redire
aussi longtemps que cela vient des médecins. Le problème apparaît dès lors que le
politique s’en empare. On observe que ce sont surtout les classes sociales défavorisées
qui « s’abandonnent », comme on dit, à ces vices. Et pourquoi ?
Essentiellement parce qu’elles seraient ignorantes ou qu’elles auraient une préférence
élevée à l’égard du présent, qui leur ferait préférer la gratification immédiate
aux bénéfices de long terme que sont la santé, l’autonomie et la longévité.
Les économistes
parlent à ce sujet de biens peccamineux (sin goods) et ils proposent de les
taxer lourdement puisqu’il n’y a pas d’autres façons de faire entendre raison à
« ces gens là » (1).
Récemment je suis tombé sur un article (2)
qui a mis des mots sur un malaise que je ressentais à l’égard des propos
condescendants que j’entends autour de moi à l’encontre de ces pécheurs
impénitents, plutôt aux Etats Unis et en Australie qu’en Europe, dois-je ajouter.
Cet article qui
s’intitule « La moralisation de
l'obésité: un nouveau nom pour un vieux péché? » met l’accent sur l’obésité
mais il peut s’appliquer aux trois autres péchés capitaux et à bien d’autres.
L’auteure, une
Australienne, note que les discours publics représentent l’obésité dans un
cadre éthique ambiant qui relie la maladie à l’échec moral. Elle rapproche cela
de la manière dont historiquement on traite la pauvreté et la maladie. On s’attaque
à de soi-disant lacunes morales, en oubliant
qu’il faudrait s’intéresser aux structures créatrices des problèmes de santé et
de pauvreté. En culpabilisant ces pécheurs, on a bonne conscience de ne pas les
aider.
L’obésité est clairement en relation avec le niveau
socio-économique. Les familles les plus démunies ont moins accès à
l’information. Elles ne disposent pas des revenus leur permettant une
alimentation diversifiée et de bonne qualité, qui coûte généralement plus cher.
Elles sont aussi plus attirées par les publicités vantant les mérites de la malbouffe
et pénalisées sur le plan de l’activité physique: elles n’ont pas les moyens de
s’inscrire à un club sportif, par exemple, vivent dans des régions qui manquent
de piscines, de gymnases, etc.
Il est naturellement plus facile et réconfortant de
s’attaquer au manque de rationalité des individus, de les culpabiliser que de s’attaquer
aux causes structurelles de ces problèmes de santé. Mais en disant cela on s’en
prend aux fondements néolibéraux de nos sociétés, où la recherche du profit est
le principal moteur des comportements.
Pour
illustrer la violence de certains, citons ce député australien : « Il faut avoir la loi la plus dure possible. Il
faut faire que les fumeurs se sentent comme des lépreux. Il faut rendre leurs
vies horribles » (3).
La séquence est simple : on culpabilise, puis on ghettoïse et enfin on néglige.
Je conclurai quand même par une note un peu optimiste.
Dans son dernier rapport, l’Observatoire de la pauvreté (4) nous apprend que
des quatre raisons qui peuvent expliquer
qu’en France des personnes se trouvent en situation de pauvreté, l’expression « Ne veulent pas travailler » est
nettement dominée par : « Manquent
de qualification », « Pas
de chance », « Plus assez
de travail pour tout le monde ». Et cela depuis quelques décennies.
(1) Comme le
chantait Brel qui nous a quitté il y a 40 ans.
(2) Louise Townend (2009), The moralizing of obesity: A
new name for an old sin? Critical Social Policy, 29, 171-190.
(3) http://vapolitique.blogspot.com/2017/12/la-panne-du-modele-anti-tabac.html
(4) Observatoire de la Pauvreté (2018), Rapport sur la
pauvreté en France, Compass.
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