mercredi 31 octobre 2018

Quarante ans après Charlottesville, Virginie, 1979, Afula, Israël, 2018, et autres

Victor Ginsburgh

A l’époque où j’étais professeur visiteur à l’Université de Virginie (Charlottesville) en 1979, j’ai été stupéfait d’apprendre que ni les Noirs ni les Juifs ne pouvaient acheter une propriété autour du golf en construction à peu de distance de Charlottesville. Je ne me souviens pas trop si c’était écrit sur des pancartes le long du golf, ou si c’était simplement (!) la rumeur, mais je le savais, même si je n’ai été visiteur que pendant quelques mois. Je ne pouvais pas imaginer que la Virginie, à quelque 100 Km à l’ouest de Washington, était un état raciste en 1979. J’avais tort. Elle l’était.


Et elle l’est restée. Rappelez-vous des émeutes raciales qui s’y sont déroulées à la mi-août 2017, lors du déboulonnage proposé d’une statue érigée en l’honneur du général sudiste Robert Lee. Des centaines de suprématistes blancs sont entrés dans la ville aux cris de « les vies des blancs sont importantes », « sang et sol » et « les Juifs ne nous remplaceront pas » (1). Trump a commencé par dire que les deux parties avaient tort (« blame on both sides ») et qu’il y avait des gens honnêtes chez les uns comme chez les autres (« there are very fine people on both sides »), ce qu’il a été obligé de corriger le lendemain parce qu’il a été attaqué de tout côté, y compris par les politiciens républicains (2). Et ce qui s’est passé à Pittsburgh il y a quelques jours n’augure rien de très bon. L’acte lui-même est sans doute isolé, mais les suites que lui donne le gouvernement de Trump et sa rage anti-media et raciste ne le sont guère. Israël lui tient cependant bonne compagnie.

En 2016, les habitants juifs d’Afula, en Israël, s’étaient opposés à des enchères de 43 terrains qui avaient toutes été remportées par des Arabes. La cour de justice de Nazareth (dont dépend Afula) a examiné la question et a « constaté » qu’il y avait eu collusion entre les acheteurs et que les prix de réserve étaient « vagues et trompeurs ». Et, comme on pouvait s’y attendre, la vente a été annulée (3). 

En juin 2018, des centaines d’israéliens manifestent aux cris de « les traîtres n’auront pas de repos » contre la vente d’une maison à une famille arabe israélienne à Afula. L’ancien maire et le maire en fonction participent à la manifestation. Le premier explique que « les résidents d’Afula ne veulent pas d’une ville mixte, mais bien d’une ville juive, et c’est leur droit. Ce n’est pas du racisme ». Ce à quoi le maire ajoute qu’il « espère que la vente sera annulée et que notre ville ne va pas devenir mixte, comme le sont certaines autres villes dans notre voisinage » (3).

Tout cela tient bien, puisqu’au même moment, en juin 2018, Moki Zohar, un député du Likoud (parti de Netanyahou et, malheureusement, d’une grande partie de la population juive d’Israël) « proclame la suprématie de la ‘race juive’. Que faire ? Nous sommes bénis pas Dieu… et je continuerai à le dire à chaque fois que j’en aurai l’occasion » (4).

Mais il y a de bonnes nouvelles aussi qui viennent des Juifs américains. Lors de la dernière assemblée générale des Jewish Federations of North America (JFNA), il est devenu évident que les vues des Juifs américains s’écartent de plus en plus de celles des Juifs israéliens : « Les Juifs américains sont une minorité [aux Etats-Unis] et chérissent leur liberté et leurs droits individuels ; les Juifs israéliens, eux, sont une majorité qui se sentent constamment menacés, alors que les Juifs américains perçoivent [précisément] ce sentiment comme menaçant l’existence-même de l’Etat d’Israël. Les Juifs américains se retranchent de plus en plus dans le libéralisme [au sens américain], alors que les Juifs israéliens virent de plus en plus, et de plus en plus vite, à droite. Le rabbin Kariv, chef du mouvement réformé [libéral] en Israël accuse Netanyahou de ne pas reconnaître son rôle négatif dans la crise avec la diaspora juive (5).

Trump fait horreur à la majorité des Juifs américains, tandis que Netanyahou embrasse Trump et ses supporters évangéliques sur la bouche (6). Ni les Juifs de Pittsburgh ni son maire ne voulaient voir Trump dans leurs murs, et le maire ne l’a pas accueilli (7). En réponse à un tweet du ministre israélien de l’éducation Benett qui annonçait son intention de venir soutenir « ses frères et sœurs blessés dans l’attentat », le journaliste Juif américain David Simon (8) répond « Retournez chez vous. Les interventions de Netanyahou aux Etats-Unis ont aidé Trump, soutenu par le nationalisme blanc et le fascisme, à prendre le pouvoir.  La communauté juive américaine saigne à cause de Netanyahou. Et beaucoup d’entre nous le savent » (9).

Mais peu importe, les rabbins israéliens orthodoxes (dont le rabbin-chef) ne sont pas prêts à reconnaître que les Juifs réformés, comme l’étaient ceux qui sont morts à Pittsburgh, soient considérés comme de « vrais Juifs », ce sont des hérétiques. Et leur synagogue ne peut pas s’appeler « synagogue » ! L’Etat d’Israël donne raison à ces rabbins parce qu’ils ont le pouvoir sur quelque 20 pourcent de l’électorat qui est toujours prêt à pactiser avec la droite (10, 11).


 (1) Laurie Goodstein, Growing anti-semitism stuns American Jews, The New York Times, October 29, 2018.

(2) A timeline of the deadly weekend in Charlottesville, Virginia, ABC News, August 10, 2018. https://abc7chicago.com/a-timeline-of-events-in-charlottesville-virginia/2305769/

(3) Noa Shpigel, Hundreds of Israelis demonstrate against home sale to Arab family, Haaretz, June 14, 2018.

(4) Stuart Winer, Un député israélien proclame la suprématie de la ‘race juive’, The Times of Israël, 14 juin 2018.

(5) Staff, Les dirigeants juifs libéraux critiquent le discours ‘scandaleux’ de Netanyahu, The Times of Israel, 24 octobre 2018.

(6) Chemi Shalev, The GA’s ‘we need to talk’ slogan is a desperate plea to save Israel-U.S. Jewish ties, Haaretz, 20 octobre 2018.

(7) Staff, Pittsburg Jewish group to Trump: You are not welcome in our city, The Jerusalem Post, October 29, 2018.

(8) David Simon est un écrivain, journaliste et producteur de télévision, connu aux Etats-Unis.

(9) 'The Wire' creator's message to Israeli minister visiting after Pittsburgh shooting: Go Home, Haaretz, 28 October 2018.

(10) Michael Oren, What Israel owes American Jews, The New York Times, October 29, 2018. Oren a été ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis. Il est actuellement membre du Parlement israélien.


(11) David Halbfinger, Pittsburgh killing aftermath bares Jewish rifts in Israel and America, The New York Times, October 29, 2017.

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