Pierre Pestieau
Le
Monde du 23 juillet 2014
publiait un article au titre qui ne pouvait laisser indifférent : « La France dépense plus que ses voisins, mais pour quels résultats ? » Cet article résumait une note de France
Stratégie (1), l'ancien
Commissariat général à la stratégie et à la prospective. La principale
conclusion de cette note était que le système de retraites, la santé et
l'enseignement secondaire coûtent cher à la France, en tout
cas plus cher qu'aux autres pays européens, et ce pour des résultats qui ne
sont guère brillants.
Quand on lit cela, la réaction est immédiate :
adoptons les pratiques des pays voisins et du coup dépensons moins pour obtenir
les même résultats. Une telle politique serait bienvenue dans un pays qui
connaît un taux d’endettement insoutenable et qui est pressé de toutes parts de
réduire le montant de ses dépenses publiques (2).
A lire la note de France
Stratégie on se pose plusieurs questions. D’abord à supposer que ses calculs soient corrects comment
peut-on concrètement réformer les trois postes de dépenses visés, à savoir les
retraites, la santé et l’enseignement secondaire, qui expliqueraient presque à
eux seuls le différentiel avec les voisins ? Les obstacles politiques sont évidents. Toucher à l’un de ces
postes peut mettre tout le pays dans la rue et faire tomber un
gouvernement. Mais bien plus que
cela, il y a la manière dont ces postes peuvent être réformés. Pour
l’enseignement on sait qu’il faudrait une véritable révolution culturelle avec
changement des mentalités et des comportements de la part des enseignants mais
aussi de l’administration et des familles. Pour les retraites, il y a sans
doute moyen de rendre le système plus redistributif qu’il ne l’est mais cela
pose des questions d’incitations dans la mesure où les prestations ne seraient
plus liées aux contributions. Enfin pour la santé, il faut du temps pour que
les différents acteurs, les patients, les médecins, les groupes pharmaceutiques,
les hôpitaux et enfin l’Etat s’adaptent à un système plus efficace étant donné
la divergence de leurs motivations.
Mais les calculs sont-ils corrects ? Je ne
discuterai pas les variables prises pour mesurer la performance. Ils ne sont
pas indiscutables mais ils sont défendables dans l’état actuel des données disponibles. Par exemple pour
l’enseignement secondaire, l’indicateur de performance utilisé combine trois
indicateurs partiels : le score PISA, la fraction de diplômés du
secondaire et le taux de décrochage. En revanche il est discutable de mettre
ces indicateurs de performance en comparaison avec les dépenses de chacun des
postes étudiés (3). On sait en effet que la technologie qui sous-tend la
formation d’élèves du secondaire, pour prendre cet exemple, ne se réduit pas à
une relation binaire qualité de l’enseignement-dépenses d’enseignement. Bien
d’autres facteurs interviennent : la famille, la culture, l’environnement
socio-économique. Plusieurs études indiquent d’ailleurs qu’il existe une relation
négative entre performance et dépenses publiques d’enseignement. Ce qui est
tout à fait normal. On s’attend en effet à ce que les pouvoirs publics
investissent davantage là où les élèves ont le plus de difficultés.
Autre objection, la variable ‘dépenses publiques’ que les
auteurs utilisent. Non seulement elle ne devrait intervenir qu’avec d’autres
dans une mesure correcte de l’efficacité mais en outre elles ne représentent
pas correctement le rôle financier de l’Etat. Nous prendrons l’exemple des
retraites. Dans un pays comme la France les prestations de retraite sont
soumises à la taxation. Il ne faudrait que retenir la partie nette d’impôt pour
appréhender correctement l’effort financier de la collectivité. Dans un pays
comme les Pays Bas, l’essentiel du système de retraite est privé et fondé sur
la capitalisation, mais dans la mesure où il est obligatoire, le système peut
être considéré comme public. Si l’on compare France et Pays Bas en termes de
retraites publiques ‘sensu stricto’, la différence est énorme alors qu’elle
disparaît si on adopte une définition plus large et plus correcte des retraites
publiques.
Dernière remarque, les auteurs de la note font le choix de mesurer les taux
d'inefficacité en termes d’inputs, ce qui donne des valeurs extravagantes (50% d’inefficacité
dans les postes retraites et enseignement secondaire!).
Pour revenir au titre du Monde,
il est incontestable que la France dépense plus que la majorité de ses voisins
surtout pour les retraites, la santé et l’éducation. En revanche, il n’est pas
avéré qu’elle soit moins efficace.
(1) <http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/NA-FS-Depenses-publiques-OK.pdf>
(2) La France compte sept points au-dessus de la moyenne de
la zone euro avec 54 % de sa richesse nationale consacrée à la dépense publique
primaire (hors intérêts de la dette).
(3) Voir Mathieu Lefebvre et Pierre
Pestieau, L’Etat-providence en Europe.
Performance et dumping social, Editions du CEPREMAP, Paris, 2012, 80 p.
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