Victor Ginsburgh
Notre monde ressemble à une cloche fêlée
qui ne sonne plus (G.W. Sebald, citant Goethe).
Les deux dernières cabines téléphoniques en Belgique
ont été démontées début juin 2015 (1). Les cabines ne sont plus nécessaires, puisque tous
les habitants (ou presque) disposent d’un téléphone portable.
Que faire? |
Je ne pense pas que l’on ait célébré de manière aussi fastueuse la quasi disparition
des vespasiennes et autres toilettes publiques, en tout cas à Bruxelles. Et
malheureusement, même si on peut téléphoner de n’importe où, on ne peut pas
pisser n’importe où. Ni faire les deux simultanément. A moins qu’on n’invente,
ce qui arrivera un jour ou l’autre, un téléphone portable à usages encore plus multiples.
J’ai essayé de trouver la liste de ces lieux d’aisances à Bruxelles. Elle
existe, et localise 30 « urinoirs » gratuits (2), dont l’un se situe
rue de l’Arrosoir, forcément. La liste spécifie qu’ils sont destinés aux
hommes. Dieu merci, il existe aussi 35 toilettes publiques accessibles aux deux
sexes (3), mais rien ne dit qu’elles sont gratuites. Pour les quelque 160 km
carrés de la capitale de l’Europe, cela fait une toilette par 4,5 kilomètres
carrés, c’est-à-dire une dans un cercle d’un rayon de 1,2 km. Bonne chance si
le besoin est aigu.
Question aigue. A-t-on pensé à des toilettes dans nouvelle zone
piétonne à Bruxelles ?
Bien sûr il y a les bistrots. L’ennui quand on y rentre sans consommer,
c’est d’être confronté au regard courroucé du patron ou du garçon, qui pourrait
d’ailleurs vous apostropher. La solution, c’est d’y consommer un café, ou un verre,
mais la probabilité de rééditer la pareille dans l’heure qui suit, voire plus
rapidement, est assez élevée.
Il y a aussi, et en principe pour les hommes seulement, les murs.
C’est ce
qui se fait dans la capitale du Bangladesh, Dhaka, qui dispose de 67 toilettes
publiques pour 15 millions d’habitants. Pour éviter, les débordements, les murs
sont couverts de « prière de ne pas uriner » écrits en Bengali. Mais
cela ne suffit manifestement pas à décourager les usagers. Le Ministère des
Affaires Religieuses a trouvé la parade, en utilisant les caractères arabes que
les habitants ne comprennent pas mais qu’ils considèrent comme étant sacrés, et
on ne pisse pas sur du sacré (4).
Je m’en voudrais de ne pas terminer par quelques lignes de Proust sur les
« cabines » extraites de sa Recherche
du temps perdu :
- Vous ne voulez pas que je vous ouvre une petite cabine ?
Et comme je refusais :
- Non, vous ne voulez pas ? C’était de bon cœur, mais je sais bien que
ce sont des besoins qu’il ne suffit pas de ne pas payer pour les avoir.
A ce moment une femme mal vêtue entra précipitamment qui semblait
précisément les éprouver. Mais elle ne faisait pas partie du monde de la
« marquise » [chargée des cabines], car celle-ci, avec une férocité
de snob, lui dit sèchement :
- Il n’y a rien de libre, Madame.
- Est-ce que ce sera long ? demanda la pauvre dame, rouge sous ses
fleurs jaunes.
- Ah ! Madame, je vous conseille d’aller ailleurs, car, vous voyez, il
y a encore ces deux messieurs qui attendent… et je n’ai qu’un cabinet, les
autres sont en réparation.
- Ca a une tête de mauvais payeur, dit la « marquise ». Ce n’est
pas le genre d’ici, ça n’a pas de propreté, pas de respect, il aurait fallu que
ce soit moi qui passe une heure à nettoyer pour madame. Je ne regrette pas ses
deux sous.
Autres temps que ceux d’aujourd’hui, avec la grève des « marquises »
parisiennes dont on a fermé les vespasiennes.
(1) La Belgique dit au revoir à ses dernières cabines téléphoniques, Le Vif, 21 mai 2015. http://www.levif.be/actualite/belgique/la-belgique-dit-au-revoir-a-ses-dernieres-cabines-telephoniques/article-normal-396361.html
(2) http://opendata.bruxelles.be/explore/dataset/bruxelles_urinoirs_publics/
(4) Tahmina Anam,
Bangladesh’s very public toilet crisis, The
New York Times, May 21, 2015 http://www.nytimes.com/2015/05/20/opinion/bangladeshs-very-public-toilet-crisis.html
Mort de rire comme disent les djeunes!
RépondreSupprimeret pourtant, c'est un vrai problème en Europe! à Pondichéry où la culture Hindoue est dominante bien qu'un tiers seulement des habitants le soient, c'est simple: quand on a envie de pisser, on s'arrête, éventuellement s'accroupit pour les hommes mais pas les femmes qui n'ont qu'à écarter les jambes (les moeurs Victoriennes qui ont imposé le jupon et le cache seins ne connaissaient pas la culotte!) n'importe où et personne n'y trouve rien à redire. En fait, ça me rappelle qu'au Sahara de mon enfance il en était de même. Mais on était moins serrés qu'en Inde où on l'est plus qu'à Brussels: alors amis Belges, cessez de porter des culottes et pissez où bon vous semble et si quelqu'un trouve à y redire, la réponse s'impose: et si je vous emmerdais?