Victor Ginsburgh
Soixante chercheurs de tous les coins du monde (Allemagne, Australie, Inde,
Israël, Pérou, Turquie notamment) qui étudient le phénomène appelé procrastination étaient présents à la dixième
conférence bisannuelle organisée par l’université DePaul à Chicago (1). Quand
je vous aurai défini le mot, vous direz tous : « Ah, il y en a
d’autres qui, comme moi, remettent systématiquement au lendemain ce qu’ils
devraient faire aujourd’hui » et ce jusqu’à la veille du jour où cela doit
absolument être fait, ce qui nécessite la prise d’un ou deux comprimés
d’anxiolytique qu’il faut toujours avoir sur soi. C’est ce qui m’arrivait, du
temps où j’étais encore professeur, avec les corrections des examens écrits, et
cela m’arrive encore aujourd’hui lorsque je dois remplir ma déclaration fiscale,
pourtant pas bien compliquée.
Les économistes, évidemment, et les psychologues s’intéressent à la
question. Les économistes, comme toujours, décrivent le comportement sous forme
d’équations (des fonctions dites d’utilité) qui illustrent le phénomène, mais
cela ne sert pas à grand chose, si ce n’est à essayer de publier un article
dans le Journal of Behavioral Economics.
Mais au moins ils disent pouvoir écrire des formes d’équations qui permettent
de remettre à demain ce que vous pouvez faire aujourd’hui, y compris écrire les
équations elles-mêmes. Par conséquent, on ne sait toujours pas à quoi ces
équations ressemblent, ce qui n’est sans doute pas plus mal (2).
Les psychologues, nés plus malins, ont qualifié le phénomène de maladie, ce
qui leur permettra, lorsqu’ils seront devenus psys de demander au
procrastinateur du jour de s’asseoir dans un fauteuil ou de se coucher sur un
divan et de subir une « thérapie cognitivo-comportementale ». Coût de
l’opération € 100 au moins par séance, et cela peut durer des années à raison
de trois séances par semaine. Traitement excellent parce qu’il vous coupe
l’envie de procrastiner.
Les chercheurs sont d’accord pour dire que
le taux de procrastination chronique est à peu près de 20 pourcent dans tous
les pays du monde, sauf en Belgique et en France, où les administrations
fiscales suivent vos actions (ou plutôt vos inactions) en temps réel.
Le « bon » procrastinateur, explique le président de la
conférence, est celui qui convainc son interlocuteur impatient que la chose
soit faite, qu’elle sera faite demain.
Post scriptum. La conférence n’a
jamais eu lieu, parce que les chercheurs sont tous arrivés après la conférence.
La prochaine a lieu dans deux ans.
(2) En fait, on sait, mais et
alors ?
Cher Victor,
RépondreSupprimerje ne procrastinerai pas une milliseconde de plus pour t'écrire que j'ai bien rigolé en lisant ton essai philosophique sur ce sujet. André