mercredi 20 septembre 2017

Le coût de la guerre en Syrie

Pierre Pestieau

Tout a commencé par la requête d’un ami turc qui travaille à la Banque Mondiale. On lui a demandé d’évaluer le coût de la guerre en Syrie du point de vue du peuple syrien. Il est un peu perdu et fait appel à mes faibles lumières. Inutile de dire que je ne connais pas le sujet. Tout au plus ai-je assisté il y a plusieurs années à une conférence de Joseph Stiglitz sur le coût de la guerre en Irak. J’ai même jeté un œil sur le livre qu’il a eu la gentillesse de me dédicacer (1). En cas de doute, il n’y a pas mille solutions. Je suis allé sur Google. D’abord, je me suis aperçu que la somme de 3000 milliards de dollars évaluée par Joe Stiglitz avait été depuis révisée à la hausse. Plus frappant, la plupart des études citées sur le sujet concernent exclusivement le coût de la guerre du point de vue des Etats Unis. On parle en général d’un coût financier. Les pertes en vies humaines sont citées en passant et quelle que soit la guerre, le rapport entre les pertes américaines et les pertes de civils et de combattants locaux est de l’ordre de 1 à 100.


J’ai demandé à mon ami turc quelques données de base : il semblerait que sur la période 2010-2016 la population soit tombée de 20,7 à 18,5 millions, l’espérance de vie de 74,4 à 69,5 ans et le revenu par tête de 2806 à 1215 dollars américains. Le froideur de ces chiffres est bien éloignée du sentiment d’horreur que l’on peut éprouver à regarder à la télé des villages anéantis, des usines incendiées, des civils massacrés, des centaines de milliers de Syriens fuyant leur pays.

Mon premier conseil était qu’il ne fallait pas se limiter à mesurer la perte de revenu, la destruction des villes et des sites archéologiques mais incorporer le prix de la vie et de la souffrance. Mais ici on entre dans le domaine de l’immesurable, de ce qui n’a pas de prix.

Pas de prix sans doute mais dans notre monde marchand tout a un prix. Les morts du 11 septembre se sont vus attribuer un prix, celui de l’indemnité accordée par l’Etat et les compagnies d’assurance, prix qui dépend du revenu qu’ils touchaient (2). Là est le problème, dans un pays pauvre comme l’est la Syrie, la perte de revenu due à la guerre n’est pas élevée selon les standards des pays riches. Pour mémoire, en 2016, le revenu par tête était de $57.294 aux Etats Unis et de $38.537 en France. En Syrie, il ne serait plus que $1.215.

Et comme l’évaluation de la valeur de la vie est liée au revenu, le coût de la guerre incluant la perte des vies humaines reste faible (3). Au plus, $262 par tête pour une perte de 5 années. Ce qui explique somme toute pourquoi ce conflit a entraîné si peu d’empathie dans nos pays riches.

(1)  Joseph Stiglitz and Linda Bilmes, The Three Trillion Dollar War: The True Cost of the Iraq Conflict, W.W. Norton & Company, Inc., 2008.
(2) Les familles qui ont perdu un proche ont touché en moyenne 2,1 millions de dollars. Mais cette indemnité varie selon les victimes au terme d'une formule tenant compte du montant des salaires de la victime et des revenus qu'elle aurait générés si elle était restée en vie. Les familles des victimes avec les plus hauts salaires ont reçu les plus grosses indemnités, jusqu'à six fois celles encaissées par les familles aux revenus les plus bas.
(3) Pour procéder à cette évaluation, Ponthière et Pestieau ont eu recours à la méthode du revenu équivalent appliquée à la longévité. Soit une personne disposant d’un certain revenu et s’attendant à une longévité donnée. Supposons que sa durée de vie soit réduite d’un certain nombre d’années. Son revenu équivalent sera le revenu qui combiné à cette longévité réduite lui apporte un bien être équivalent à sa situation initiale. La différence entre ce revenu équivalent et le revenu initial donne une évaluation monétaire de la valeur de ces années perdues. Voir : https://alfresco.uclouvain.be/alfresco/service/guest/streamDownload/workspace/SpacesStore/1d507cb0-48ad-45fb-91c7-871fb0d9729b/coredp2017_25web.pdf?guest=true

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