jeudi 10 octobre 2013

Le bon âge pour mourir


Pierre Pestieau

Mathusalem
Apres avoir traité dans un blog précédent du bel âge pour vivre, intéressons nous  à l’idée d’un bon âge pour mourir. Existe-t-il un tel âge? En voila une question bizarre et pourtant. Pour toute personne raisonnable, aussi longtemps que la vie vaut la peine d’être vécue, pourquoi s’arrêter? Le « vaut la peine » est important ; il implique un certain niveau d’aisance matérielle, de santé et de sociabilité, les trois clefs du bonheur selon les spécialistes.

Il faut se garder de la malédiction de la vie éternelle. Témoin cette vieille légende d’un homme méritant auquel Dieu accorde la vie éternelle pour le récompenser de toutes ses bonnes actions. Apres de nombreuses années, il a perdu ses amis, enterré ses enfants et petits enfants, ne comprend plus le monde, et il implore Dieu de lui reprendre la vie. Ce que Dieu refuse. Mais ce n’est qu’un point de vue, le plus important certes, celui du mort potentiel. Il y en a d’autres. Celui de ses enfants ou celui de ses biographes et admirateurs.


Celui des enfants. Dans les sociétés malthusiennes où la terre ne pouvait nourrir qu’un certain nombre de personnes, la norme sociale établissait un âge de départ. Dans la La Ballade de Narayama, film de 1983, dont il a déjà été question ici, l’âge optimal est 70 ans. Dans les sociétés plus  modernes, cette contrainte n’existe pas.

Aujourd’hui, des enfants dénués d’amour filial ou criblés de dettes peuvent désirer voir mourir leurs parents. Pour eux l’âge idéal est celui où ceux-ci ont le patrimoine maximum. Selon les sociétés, cela varie entre 50 et 65 ans, qui soit dit en passant est aussi la fourchette d’âges où, en général, on hérite de ses parents. Car les infâmes, surtout quand il sont fortunés, font poireauter leurs héritiers impatients jusqu'à un âge où ils perdent jusqu’au désir de l’héritage.

Pour le biographe et l’amateur de légendes, le bon âge est précoce. La recette est simple : un artiste, un acteur, un écrivain, un scientifique produit un œuvre de qualité, une œuvre prometteuse et puis il meurt, de préférence tragiquement. Les exemples sont nombreux : James Dean, Gérard Philippe, Evariste Gallois, Alain Fournier, Jean Michel Basquiat. La question qui se pose est de savoir ce qu’aurait été leur vie s’ils avaient pu vivre normalement. Maturité ou oubli. On ne le saura jamais.

Dans un article récent de Nathalie Heinich (1), il est question d’une certaine temporalité de la production artistique. Distinguant deux types d’artistes, les expérimentaux et les conceptuels, elle note que premiers sont des artistes de la maturité, tandis que les seconds parviennent très jeunes à la réalisation de leur œuvre. Si on suit ce raisonnement, les génies trop tôt disparus doivent être des conceptuels. Mais je ne m’aventurerai pas sur ce terrain, je me contente de citer un article intéressant qui au demeurant s’inspire des travaux d’un économiste historien de Chicago.


(1) Nathalie Heinich (2013), Les vieux maîtres et les jeunes génies, Temporalité artistique, créativité et reconnaissance selon David Galenson  http://temporalites.revues.org/1711

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