jeudi 24 avril 2025

Le pays des contes où je suis né

5 commentaires:

Victor Ginsburgh

 

Je suis né et j’ai vécu en Afrique de l’Est à quelque 1.500 mètres d’altitude, entre des volcans, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des lacs, sans me rendre compte qu’aussi bien des volcans et certains lacs étaient dangereux. Mais pire, sans doute, des fractures (failles tectoniques) divisaient déjà certaines parties du continent dans la vallée du Rift de l’Est africain.


Rift africain

Dans la photographie qui suit, je voyais de chez moi le plus important volcan, le Nyiragongo avec ses 3.500 de mètres d’altitude. Il vient de se réveiller le 14 mars 2025, mais je ne l’ai jamais vu en éruption du temps de ma jeunesse.


Le volcan Nyiragongo

Plusieurs éruptions se sont produites bien après mon départ vers l’Europe en 1958. J’ai néanmoins eu la chance de voir de près une coulée de lave provenant du Nyamulagira, un volcan bien plus petit que le Nyiragongo.  Et puis il y avait la plage de Gisenyi où je passais mes journées durant les vacances. La maison où j’habitais en était à quelque 500 mètres. 

 

Le lac Kivu à 500 mètres de la maison où je suis né et ai vécu

Ma première neige s’est montrée lorsque je suis arrivé en Belgique, à l’âge de 18 ans. En janvier 1958, alors que je devais me lever pour me rendre au cours de mathématiques (dites générales) à l’université, j’ai vu la neige, collée sur la petite tabatière dans une maison à Ixelles. 

 

Première neige que j’avais vue de près… Mais de loin j’avais aperçu des neiges sur certains vieux volcans éteints.


Ancien volcan rwandais enneigé

Depuis lors, et malgré les voyages les plus exaltants que j’ai faits en Afrique du Nord, Chine, Russie, Amérique du Nord et du Sud, et Europe, je ne suis pas retourné dans le pays où je suis né. Je ne sais pas pour quelle raison. Aujourd’hui, je préfère sans doute mes souvenirs… et le bon vin.

jeudi 17 avril 2025

Taxes peccamineuses : quand l'État moralise la consommation

1 commentaire:

Pierre Pestieau


Il existe différentes motivations pour taxer. Les deux principales sont le besoin de financer les dépenses publiques et celui de redistribuer les revenus. Deux autres motivations, moins connues, sont d'une part la nécessité d'internaliser des coûts ignorés par le marché et d'autre part le souci de modifier le comportement des agents économiques. L'environnement est un domaine où la taxation pénalise ceux dont les activités génèrent pollution et nuisances. Dans le jargon économique, on parle de "taxe pigouvienne", souvent conçue pour transformer les comportements. La santé constitue également un champ d'action où l'État surtaxe des produits jugés nocifs afin d'en décourager la consommation.

Lorsque l'objectif premier est de transformer les habitudes de consommation, on parle parfois d’ une "taxe comportementale", voire une "taxe peccamineuse" (sin tax). La taxe vous dissuade de "pécher". Inversement, l'État peut subventionner des alternatives vertueuses. La taxe carbone appartient à cette catégorie d'imposition — j'y reviendrai dans un prochain billet. Les taxes sur le tabac, l'alcool et les sodas s'inscrivent également dans cette logique.

En 1990, le paquet de cigarettes coûtait 1,50 euros. Aujourd'hui, il atteint 11,50 euros, dont 80% reviennent à l'État. Le tabagisme quotidien a certes reculé, mais demeure encore largement répandu. On observe des disparités régionales significatives, avec des taux généralement plus élevés en Wallonie qu'en Flandre. L'impact dissuasif reste finalement modeste.

Outre cette résistance des consommateurs, deux problèmes majeurs persistent. D'une part, l'explosion des circuits parallèles. Les achats transfrontaliers et le marché noir privent l'État de recettes substantielles. D'autre part, une injustice sociale flagrante. L'écart de prévalence du tabagisme quotidien entre les plus bas et les plus hauts revenus est élevé et grandissant. Ce sont donc les populations défavorisées qui supportent le poids le plus lourd de cette fiscalité. En d'autres termes, cette taxe s'avère régressive. Sans réellement modifier le comportement des personnes à faibles revenus, elle leur enlève du pouvoir d’achat..


Les boissons sont aussi un marqueur social; les sodas sont davantage consommés par les classes populaires. Introduite en 2015, la taxe soda vise à lutter contre l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires, ainsi que leur coût pour l’Assurance maladie.

Elle rapporte beaucoup a l’Etat mais elle semble avoir peu d’effet sur le comportement d'achat. Une faible taxe augmentée petit à petit, comme cela se passe actuellement, ne crée pas d’effet-choc. Le consommateur s’habitue simplement à ces nouveaux prix sans modifier son comportement. Au final, ce sont surtout les moins aisés qui ressentent l’impact financier d’une telle taxe. Cela étant, ce sont également eux qui vivent et mangent en général de manière un peu moins saine et qui risquent donc davantage de devenir obèses.

Les problèmes de santé causés par le tabac et les boissons sucrées nécessitent une approche globale et transversale. Il est essentiel de définir une politique claire, avec des objectifs concrets et un suivi rigoureux. L'augmentation des taxes sur les produits dont il faut limiter la consommation peut faire partie d'un plan global, mais elle ne sera jamais aussi efficace que d'autres mesures telles qu'un meilleur étiquetage, des portions plus petites et une meilleure information. Il importe surement de moins moraliser la politique de dissuasion, comme le fait le terme « peccamineux ».


Ces taxes semblent davantage destinées à remplir les caisses de l’État qu’à modifier réellement les comportements. Ce sont les plus modestes qui en paient le prix.





jeudi 10 avril 2025

Monastères isolés à voir dans le monde

2 commentaires:

Shoshi Parks, Historien and Journaliste, 
Isolated, Gravity-Defying Monasteries, You Can Visit Around the World, Smithsonian Magazine, January 31, 2025.


Pendant des siècles, les moines ont recherché la solitude et l'isolement sur leur chemin vers l'illumination spirituelle, choisissant certains des endroits les plus reculés du globe pour construire leurs monastères. En dépit de leur splendeur, je ne suis pas sûr que j’y grimperais. En voici néanmoins une collection magnifique... A visiter, dit l’article. Je préfère la vue de loin (Victor Ginsburgh).

Météores, Grèce

Météores, Grèce

Paro Taktsang, Bhutan

Popa Taung Kalat, Myanmar, Birmanie

Sevanavank Guenterguni, Arménie

Ostrog Giulio Andreini, Montenegro

Montserrat, Espagne

Temple Suspendu, Chine

Sumela, Turquie

Key Monastery, Inde



jeudi 3 avril 2025

Entre Paradis Perdu et Paradis Retrouvé

2 commentaires:

Pierre Pestieau


Nous vivons dans un monde en proie au chaos, où crises environnementale, économique et politique s’entremêlent. La planète est menacée, l’État-providence vacille moralement et financièrement, et la démocratie subit des assauts sous toutes ses formes. Il est difficile d’imaginer une situation plus désastreuse dans l’histoire contemporaine, tant l’incapacité des individus et des nations à coopérer efficacement semble au cœur de ce désordre.

Deux concepts essentiels permettent d’éclairer cette impasse : le dilemme du prisonnier et la tragédie des communs. Ils illustrent comment la quête de l’intérêt individuel, loin de produire une solution optimale pour la société, mène à des conséquences délétères pour tous. Dans le dilemme du prisonnier, deux complices arrêtés après un vol sont confrontés à un choix simple : se taire et être relâchés faute de preuves, ou dénoncer l’autre pour obtenir une peine réduite. Craignant la trahison, chacun finit par avouer, s’exposant ainsi à une sanction plus lourde que s’ils avaient fait preuve de solidarité. Cet exemple illustre la manière dont l’égoïsme individuel peut aboutir à un résultat perdant-perdant, y compris pour les malfrats.

La tragédie des communs renvoie quant à elle à une époque où des fermiers partageaient des pâturages collectifs. Chacun cherchant à maximiser son profit, l’exploitation effrénée mena à la surexploitation des ressources, provoquant leur épuisement. Pour contrer cette menace, la solution adoptée fut l’introduction de la propriété privée, incarnée par les célèbres fils barbelés qui ont nourri l’imaginaire des westerns. Ces deux scénarios traduisent un dilemme fondamental : sans régulation ou coopération, les intérêts individuels finissent souvent par nuire au bien commun.


Pris entre le souvenir idéalisé des sociétés traditionnelles et le mirage du "grand soir", nous oscillons entre un paradis perdu et une utopie à reconstruire. Les sociétés d’antan, souvent perçues comme des modèles d’harmonie sociale, reposaient sur des normes partagées, un fort sentiment d’appartenance et des pratiques d’entraide. Mais peut-on vraiment revenir à ce modèle ? Rien n’est moins sûr. Ces sociétés étaient limitées par leur homogénéité culturelle et leur fermeture à l’altérité. Dans un monde globalisé et interdépendant, ce retour en arrière serait non seulement irréaliste, mais aussi porteur de dangers. Pourtant, certains prônent un repli sur soi : fermeture des frontières, exclusion des étrangers des systèmes de redistribution, recentrage des solidarités sur une communauté nationale restreinte. Mais même dans cette hypothèse, il serait impossible de recréer les conditions des sociétés traditionnelles, tant elles reposaient sur des dynamiques incompatibles avec la diversité contemporaine.

Face à cette impasse, d’autres rêvent de rupture radicale. Le "grand soir" incarne cette aspiration à un monde nouveau qui abolirait non seulement le capitalisme, mais aussi les normes sociales établies. Cette idée s’inscrit dans la longue tradition des mythes millénaristes, nourrissant l’espoir sans offrir de solutions concrètes. Une alternative plus pragmatique pourrait être un État-providence réinventé, mieux adapté aux défis du XXIᵉ siècle. Mais cette ambition suppose un changement de paradigme : une gestion plus rigoureuse des ressources publiques, une adaptation constante des politiques aux nouvelles réalités économiques et sociales, ainsi qu’une valorisation de l’innovation, notamment à travers les outils numériques.

Une société plus solidaire nécessiterait également un dialogue inclusif entre cultures et générations, permettant de consolider un sentiment d’appartenance collective. Les États-providence, par nature nationaux, devraient aussi repenser leurs formes de coopération pour répondre aux enjeux pressants du climat, de la paix et de la répartition des richesses. Si un retour aux sociétés traditionnelles est illusoire et le "grand soir" une chimère, la modernisation de l’État-providence demeure une ambition réalisable, bien que loin d’être acquise. Elle exige un effort concerté et une vision partagée d’un avenir où justice sociale et efficacité économique cesseraient de s’opposer pour enfin se renforcer mutuellement. C’est à cette seule condition que nos sociétés pourront espérer surmonter leurs fractures et bâtir un modèle de solidarité durable. Mais au fond, cette perspective elle-même n’est-elle pas une forme d’utopie ?