jeudi 23 février 2023

Qui tire les ficelles ?

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Pierre Pestieau

Dans un de ses récents billets, l’excellent François Morel (1) nous explique « Être de gauche quand j’étais jeune, c’était plus simple; il suffisait d’écouter du Jean Ferrat et souhaiter que les pauvres soient moins pauvres ». A cette époque, on était convaincu que le monde était dirigé par un consortium de capitalistes connu sous le nom de Trilatérale. Ce groupe opaque qui rassemblait des capitalistes japonais, européens et américains tiraient les ficelles. Leur objectif : assurer la bonne marche du système capitaliste face au bloc soviétique et à l’idéologie qu’il portait. La Trilatérale était responsable de tous nos maux et il suffisait de la renverser ainsi que le système qu’elle défendait pour obtenir une société juste.

Depuis ces années-là, beaucoup de choses se sont passées. La Trilatérale continue mais est supplantée par le groupe de Davos qui est moins clandestin et de ce fait, frappe moins l’imagination. L’une comme l’autre n’ont pas l’influence que nous leur prêtions, mais surtout l’empire soviétique s’est écroulé et avec lui beaucoup de nos illusions.

Il demeure que plus que jamais nous avons l’impression que nous n’avons pas prise sur notre vie et que les grandes décisions sont prises en dehors de nos États nationaux pour assurer le bon fonctionnement de ce qu’on appelle le capitalisme mondialisé et financiarisé. Nous nous sentons destitués et frustrés de ne plus pouvoir contrôler notre existence.

Les décisions ne sont pas prises par un groupe opaque mais par une multitude d’acteurs qui chacun poursuivent leur intérêt propre. Contrairement à ce que l’on nous a enseigné, ce système n’est pas guidé par une main invisible en vue du bien commun. Que du contraire. Il s’avère incapable de résoudre les problèmes tels que les inégalités sociales, la faim dans le monde, l’instabilité politique et surtout la survie de notre planète.

C’est sans doute en matière d’environnement que l’on a l’impression de vivre une mauvaise comédie avec des acteurs qui nous disent faire de la lutte en faveur de la biodiversité et contre le réchauffement climatique une priorité et qui tout à la fois continuent à faire le contraire parce que leur vraie priorité est le profit. Naomi Klein (2) répond à cette contradiction en retournant à Marx. Pour elle la lutte contre les changements climatiques requiert non seulement une réorientation de nos sociétés vers un modèle durable pour l’environnement, mais elle nécessite aussi une transformation sociale radicale, transformation qui pourrait nous mener à un monde meilleur, plus juste et équitable. 

Même si l’on est d’accord avec ce diagnostic, demeure la question du comment. Nous ne disposons pas de modèle de rechange, qui pourrait remplacer le capitalisme mondialisé.


(1). https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-francois-morel
(2). Naomi Klein, Capitalisme et changement climatique, Actes Sud. 2015 (Initialement publié en 2014 par Simon & Schuster).

jeudi 16 février 2023

Aphorismes II

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(Recueillis par Victor Ginsburgh)

Je perds mes dents. Je meurs au détail (Voltaire).

Mon mari est archéologue. Plus je vieillis, plus je l’intéresse (Agatha Christie).

Les hommes ont une sensibilité historique, c’est-à-dire rétrograde. Ils attachent des poids aux ailes du temps (Joseph Roth).

Le Juif se souvient de ce qu’il a oublié (Emmanuel Levinas).

Le succès va d’un échec à l’autre, sans manquer d’enthousiasme (Winston Churchill).

Un journaliste interviewe Noam Chomsky : 
    Le journaliste : Comment pouvez-vous avoir autant d’assurance et d’énergie à l’âge de 87 ans ?
    Chomsky : La théorie de la bicyclette. Tant que vous roulez, vous ne tombez pas. 

Si vous disposez uniquement d’un marteau, chaque problème ressemble à un clou (Abraham Maslow).

Les vieux devraient mourir d’amour en tombant d’une échelle appuyée au balcon de leur bien-aimée (Erri de Luca).

L’escargot est naturellement héroïque, il ne recule jamais (Alexandre Vialatte).

Je ne résiste plus beaucoup dans mon corps. Je sens ma peau beaucoup plus fine et plus poreuse. Je me dis à moi-même : Un jour le paysage me traversera (Pascal Quignard).

Lorsque vous arrivez à un embranchement sur la route, prenez-le (Yogi Berra).

Embranchement

Vous devez être très prudent si vous ne savez pas où vous allez, parce que vous n’y arriverez peut-être pas (Yogi Berra).

Dans le secret du cellier de mon aimé, j’ai bu
Et quand je sortis parmi toute cette plaine
Plus ne savais chose aucune
Et je perdis le troupeau jadis suivi (Jean de la Croix).

Après sa mort, la plante se trouva dans une famine de voix, de plaintes, de sourires.
A force de vivre au milieu des livres, elle était devenue un arbuste littéraire (Erri de Luca).

 

On m’avait dit qu’à New York, les rues étaient pavées d’or. Quand je suis arrivé, j’ai aussitôt vu trois choses : la première, qu’il n’y avait pas d’or dans les rues ; la deuxième, qu’elles n’étaient même pas pavées ; la troisième, que c’était moi qui devais les paver (Erri de Luca).

 

Comment allez-vous ? Comme un savon, toujours en diminuant (Jonathan Swift).

jeudi 9 février 2023

Pauvre Afrique

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Pierre Pestieau

Lors d’un réunion récemment organisée à Nairobi sur les chocs qui menacent les économies africaines, on ne pouvait qu’être submergé par l’accumulation des risques qui accablent ce continent. Dans le désordre et sans être exhaustif, je citerais : le réchauffement climatique dont l’Afrique n’est pas responsable mais est la première victime ; les crises sanitaires consécutives à des pandémies successives que la pénurie de vaccins ne parvient pas à enrayer ; la hausse des taux d’intérêt qui pèse sur des économies déjà endettées, les écarts de richesse et la pauvreté extrême qui ne cessent de croitre, l’inflation consécutive à la guerre en Ukraine  et une démographie galopante. Ceci, sans parler des problèmes politiques incluant les régimes autoritaires et corrompus qui sont la règle, les guerres civiles et la menace islamique.

Comment garder le moral dans ces conditions? Le moral, les Africains ne l’ont pas à l’opposé d’une idée reçue que malgré leur pauvreté les Africains seraient plus heureux que la plupart des occidentaux. Contrairement à ce que chantait Charles Aznavour, il ne semble pas que la misère soit moins pénible au soleil.

C’est ce qui apparaît de l’édition 2022 du World Happiness Report (WHR), un rapport qui évalue depuis 10 ans, le niveau de bonheur des populations au sein de 146 pays. Pour établir leur classement, les experts du WHR se basent sur le sondage Gallup qui permet d’évaluer la perception subjective du bonheur par des populations cibles dans différents pays. Ce sondage est croisé avec six indicateurs du bonheur, à savoir : le niveau du PIB par habitant, le soutien social, l'espérance de vie en bonne santé, la liberté, la générosité, et la corruption.

Les pays Africains sont selon ces experts très mal classés. L’Ile Maurice, qui est si peu africaine, est la mieux classée, 52ème. Ensuite on trouve, fait étonnant, la Lybie qui est 86ème et la Cote d’Ivoire, 88ème. Si l’on ne retient que les pays Africains dans ce classement, on retrouve beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest parmi les  premiers, alors qu’ils sont loin d’être les plus riches du continent. 

Dans ces conditions, on peut comprendre que de nombreux jeunes Africains soient prêts à risquer leur vie pour connaître une existence meilleure en Europe qu’ils perçoivent, à tord peut être , comme un nouvel eldorado.

jeudi 2 février 2023

Le Boléro de Ravel

3 commentaires:

Victor Ginsburgh 

Un puzzle pour le moins incompréhensible a trait à l’héritage de Maurice Ravel, d’ascendance suisse, mais néanmoins français, et dont tout le monde connaît le fameux Boléro dit de Ravel. Ce dernier est joué à peu près cent fois par jour (tous les quarts d’heure) dans le monde, ce qui finit par rapporter à son ou ses ayants droit la modique somme annuelle de 1,5 millions d’euros. Sans rien faire, rien qu’en étant l’héritier de l’héritier de l’autre héritier, mais aussi, au fil du temps d’une ou de deux héritières. Voici quelques détails glanés dans un article très amusant (1).

Maurice Ravel

Voici en très raccourci, quelques détails de la passation des droits d’auteur entre 1937 (date de décès de Ravel) et 2022. L’histoire commence évidemment par Ravel et finit par tomber dans le domaine public le premier jour du mois d’octobre 2022, alors que le compositeur est mort il y a 85 ans et que la durée du droit s’élève à environ 78 ans (70 ans en principe, plus 8 ans pour compenser les pertes de la guerre 40-45, que Ravel n’a pas vécues). 

A sa mort, Ravel qui n’avait pas de bébés, fait de son frère Edouard son héritier. Edouard et son épouse Angèle ont un accident de voiture et prennent une masseuse, Jeanne, pour les soigner. Angèle meurt peu après. Jeanne s’installe auprès du frère de Ravel et devient, comme par hasard, la légataire universelle d’Edouard, ce qui fâche douloureusement un certain directeur des Editions Durand qui prétend posséder les droits d’édition de Ravel. Par un coup de malchance, Jeanne meurt en 1965. Son mari, Alexandre, devient l’héritier du Boléro et épouse une certaine Georgette. L’héritière des droits, fille de la seconde femme du mari de l’infirmière masseuse du frère de Ravel intente, en 2018, un procès à la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique afin de prolonger de 23 ans les droits du Boléro, alors que le droit d’auteur était déjà largement épuisé. 

Entretemps (c’est-à-dire entre 1937 et 2022), on découvre un petit-cousin de Ravel, qui bien entendu, porte plainte mais perd le procès… Il va en appel, mais hélas pour lui, après neuf ans, le tribunal juge que le veuf de Jeanne est bien l’héritier d’Edouard. Alexandre finit par mourir. Sa femme Georgette quitte la France et s’installe en Suisse, le pays où il est difficile de ne pas être honnête. 

Il y a, comme vous le voyez, d’autres aventures, bien plus extravagantes que celles de Tintin, et enfin, le premier octobre 2022, comme il est dit plus haut, le Boléro est tombé dans le domaine public. 

Qui d’entre vous est prêt à essayer de faire un procès à « domaine public » ? N’oubliez pas que le Boléro devrait augmenter vos étrennes de €1,5 millions par an. Ce n’est pas rien. Je pourrais vous conseiller l’avocat dont il est question plus haut.


(1). Juliette De Banes Gardonne, Droits d’auteur : Le gros magot de Ravel, paru dans le journal suisse Le Temps, 29 septembre 2022. Un grand merci à Philippe J., professeur honoraire d’histoire de l’art à l’Université de Lausanne. Il m’a donné l’occasion de lire cet article : il connaît bien mes préférences.