jeudi 24 juin 2021

On a découvert un cinquième océan sur la terre

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Victor Ginsburgh


Depuis l’école primaire, j’ai vécu avec quatre océans : l’Atlantique, le Pacifique, l’Indien et l’Arctique, et je vivais bien. Je les avais vus tous les quatre, parfois de loin, parfois en naviguant sur l’un d’eux, mais n’ai jamais vu le nouveau-né. Est-il vraiment nécessaire, qu’à mon âge avancé, la National Geographic Society (américaine) en invente un cinquième, l’Océan Antarctique (1). Toutes mes boussoles en sont bouleversées, et je devrai vivre le restant de mes jours à dénigrer l’atlas que j’avais à l’école et que je ne cessais de consulter. Outre les points cardinaux, les océans, les continents, les pays, leurs villes principales, les fleuves et les rivières, il consacrait également une page aux cinq « races » de ce monde, classées comme on le sait, sur base de la couleur de la peau, mais qui nous induisait évidemment à considérer que nous faisions partie de la bonne.

Océan Antarctique vu d'en haut

Il semble que l’idée de ce cinquième océan était dans l’air parmi les géographes, depuis cent ans, mais ce 8 juin, jour consacré aux Océans du Monde l’événement a été dévoilé aux foules que nous sommes. Ce qui nécessitera bien entendu un nouvel atlas, dans lequel les races auront heureusement disparu. La page, restée blanche depuis, peut maintenant être consacrée au cinquième océan.

Ce nouvel océan se faufile entre les eaux qui entourent le continent Antarctique, découvert il y a quelque 1 300 ans par les Polynésiens, bien avant les Européens et les Américains (2). Encore une attaque contre la peau blanche !

Décidément, tout fout le camp dans ma tête. Mais revenons à nos moutons et aux vagues moutonnantes de l’océan Antarctique et du continent du même nom. Continent très jeune d’ailleurs, puisqu’il semble s’être séparé de l’Amérique du Sud il y a seulement 34 millions d’années.

Heureusement, nous avons inventé ce nouvel océan, dont les eaux sont moins salines et plus froides que celles des autres océans. Il reçoit les eaux de trois autres océans. Pourquoi trois seulement ? Parce que l’Arctique est un peu trop loin et ne veut pas participer au « tapis roulant » des eaux plus chaudes qui font le tour du monde. Ce mécanisme, que je n’ai pas tout-à-fait compris (voyez l’image ci-dessous, et débrouillez-vous), a été mis au point pour permettre de stocker l’oxyde de carbone dans des fonds plus profonds, ce qui nous fait la vie plus agréable et retarde notre fin prochaine. Merci Antarctique, il était temps qu’on te donne un nom.

Les courants polaires vus du pôle sud

Il est intéressant de savoir que cet océan portait quand même le nom un peu minable d’océan du Sud donné par les explorateurs et navigateurs espagnols au 16ème siècle. Et nos ancêtres, qu’ils soient grecs, romains, arabes, hindous, perses ou chinois parlaient de sept océans. Il nous faudra continuer nos recherches…


(1) Tom Metcalfe, Earth’s fifth ocean just confirmed, Live Science, June 9, 2021, https://www.livescience.com/earth-fifth-ocean-confirmed.html

(2) Ami Sood, New Zealand's Maori may have discovered Antarctica 1,300 years before Westerners, study says, CNN, June 11, 2021, https://edition.cnn.com/2021/06/10/australia/new-zealand-maori-antarctica-intl-hnk-scn/index.html

jeudi 17 juin 2021

La juste dépense

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Pierre Pestieau

Dépense-t-on suffisamment pour la santé, la défense nationale, la culture, la dépendance des vieux, … ? Voilà une question qui revient régulièrement, surtout à l’occasion d’une crise. La crise causée par le covid-19 a mené plus d’un à suggérer qu’il faudrait augmenter le budget santé. On se plaint de ne pas dépenser assez pour l’armement dès qu’il y a une crise qui menace la sécurité. En fait si l’on rassemblait les acteurs-clefs des différents secteurs de la vie sociale et qu’on leur demandait combien dépenser dans leur secteur, il est à parier que l’on aboutira à une enveloppe budgétaire nettement supérieure au PIB.

Pour connaître le montant idéal qu’il faudrait consacrer à un bien ou à un service, l’économiste recourt au concept de volonté de payer (VDP ). La VDP est le prix maximum auquel un consommateur achèterait un bien ou un service. Supposons que la société soit composée d’individus identiques. On place ces individus derrière le voile d’ignorance, c’est-à-dire, dans une situation hypothétique dans laquelle ils ont une connaissance précise des probabilités d’événements qui peuvent se produire : épidémie, maladie, guerre, handicaps, chômage, … Sur base de cette information, ils sont disposés à consacrer une fraction de leur revenu à des programmes qui couvrent chacun de ces événements. C’est en recourant à cette approche que deux économistes américains (1) ont suggéré il y a quelques années de consacrer 30% du PIB américain aux soins de santé, bien plus que les 18% actuels, qui eux-mêmes sont nettement supérieurs à ce qui se passe dans les autres pays.

Deux raisons peuvent remettre en question cette approche ou, en tout cas, en compliquer l’application. D’abord, il y a le fait que lorsqu’un risque se concrétise avec une acuité particulière, on a tendance à vouloir y consacrer plus de ressources que si l’on se place derrière le voile d’ignorance. La pandémie du covid-19 a conduit la majorité des individus à réclamer une augmentation des dépenses de santé. Un attentat terroriste entraînera une demande d’augmentation des ressources consacrées à la sécurité intérieure et extérieure. Il est clair que les dépenses réclamées dans ces situations d’urgence ne doivent pas guider une politique soutenable.

Ensuite, il y a l’hypothèse restrictive d’homogénéité des préférences, à laquelle on peut remédier en supposant que la VDP varie selon l’âge et la richesse de la personne concernée. Mais ceci nous mène à adopter une manière d’agréger les utilités des différents individus, ce qui n’exclut pas l’arbitraire. En effet si cette agrégation met l’accent sur les individus les plus défavorisés on obtiendra une VDP fort différente de ce que donnerait une agrégation qui traiterait tous les individus de la même façon.

 
Dans la réalité de nos démocraties, la part du PIB consacrées à tel ou tel besoin n’est pas déterminée par ce type d’analyse mais dépend tout simplement des résultats des élections. Est-ce la meilleure manière ? Hélas non quand on voit le rôle que les groupes de pression et autres lobbies peuvent jouer dans ce type de choix. Mais comme disait Churchill, “la démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes”.

(1). R. HALL et C. JONES, « The value of life and the rise in health spending », The Quarterly Journal of Economics, 122 (1), 2007, p. 39-72.