jeudi 29 février 2024

Julio Cortazar, écrivain et probablement informaticien

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Victor Ginsburgh

L’écrivain argentin Julio Cortazar naît à Bruxelles en 1914. Il y vivra peu par la suite, mais aura sans doute profité de l’humour belge lors de son enfance. Vous verrez que Cortazar était aussi informaticien bien avant la lettre avec un mot inventé qui existe encore aujourd’hui.

Quatre-vingt-dix ans après la naissance de l’humoriste, l’Ambassadeur d’Argentine à Bruxelles dévoile un buste dudit écrivain (et informaticien) à la place Brugmann où il est né.

Buste de Julio Cortazar, Place Brugmann, Bruxelles

C’est lui qui a introduit dans le dictionnaire français le mot “cronope” dont il n’a pas trop donné la définition et dont personne ne devine trop le sens. Par contre un mot très proche est utilisé en informatique sous la forme cronopete (1). Je vous laisse deviner quel accent prendrait les « e » dudit cronopete…

Julio Cortazar s’amuse

Il écrit Pages Inespérées (2), titre plutôt sérieux et désespérant pour un texte dont l’auteur ne peut manifestement pas se permettre de l’être. Le petit texte qu’il a lui-même écrit en français tient sur une demi page inespérée sous le titre de Séquences, que seul un informaticien belgo-argentin pourrait dénouer :

“Il arrêta de lire le récit, là où un personnage arrêtait de lire un récit à l’endroit où un personnage arrêtait de lire l’endroit où un personnage arrêtait de lire et allait à cette maison où quelqu’un qui l’attendait s’était mis à lire un récit pour tuer le temps et en arriver à l’endroit où un personnage arrêtait de lire et allait à cette maison où quelqu’un qui l’attendait s’était mis à lire un récit pour tuer le temps.”

Cortazar a beaucoup écrit (3), bien plus que la demi page inespérée. Lisez-le, lisez-le, vous ne pourrez que (sou)rire en cette misérable saison d’hiver.


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(1) How to setup and use cronopete backup software for Linux, https://www.reallinuxuser.com/how-to-setup-and-use-cronopete-backup-software-for-linux/
(2) Julio Cortazar, Pages Inespérées, NRF Gallimard, 2014.
(3) Voir la liste de ses livres à https://booknode.com/auteur/julio-cortazar/livres. Les quelques mots qui accompagnent presque chacun d’eux vous montreront les facéties de l’auteur.


jeudi 22 février 2024

Bonheur nordique

2 commentaires:

Pierre Pestieau

Les pays nordiques arrivent systématiquement en tête  des pays les plus heureux à travers le monde que ce soit selon des critères objectifs ou subjectifs. Par exemple, le  World  Happiness Report  se base sur des critères beaucoup plus objectifs que la réponse à la simple question « Sur l’échelle de 1 à 10, où vous situez vous en terme de bonheur ? ». Le bonheur y est estimé en fonction de  six facteurs : le PIB,  l'espérance de vie, la générosité, le soutien social, la liberté et la corruption. Depuis des décennies, le  Danemark arrivait systématiquement en tête du rapport.

Cet indicateur multicritère du World  Happiness Report peut être critiqué. En effet, il semble davantage mesurer la qualité de l’État providence que le bonheur perçu, qui demeure un concept éminemment subjectif et qui est mieux appréhendé par une simple question. Quoiqu’il en soit les pays scandinaves sont les premiers quelle que soit la mesure, subjective ou objective, que l’on adopte.

Pour expliquer ce bonheur nordique, que l’émergence du populisme pourrait mettre à mal, on tend à puiser  dans le vieil héritage luthérien et dans la loi de Jante (un code de conduite social basé sur la modestie) pour expliquer l'origine du  bonheur scandinave. A l'origine de cette  félicité nordique fantasmée, on trouverait une façon particulière de penser qui consiste à se répéter : "Tu ne dois pas te croire spécial ; tu ne dois pas t'imaginer meilleur que les autres ; tu ne dois pas te croire bon en quoi que ce soit". C’est là une éthique qui contraste avec la philosophie américaine axée  sur la méritocratie et  l'accumulation de richesses comme symbole de réussite. Cette éthique est aussi fort différente de celle qui règne dans des pays comme la France ou l’Italie, dont les ressortissants, qui n’ont de cesse de râler à propos de tout et de rien, se disent malheureux.

Mais peut-on comparer les pays selon leur niveau de bonheur ? Peut-on dire que les Danois sont beaucoup plus heureux que les Français ou les Italiens alors qu’ils passent leurs vacances en France ou en Italie ? Richard Easterlin (1), le père de l’ « économie du bonheur » ne le pensait pas. Pour comprendre pourquoi il n'est pas toujours judicieux de comparer le bonheur d'un pays à l'autre, il faut tenir compte de plusieurs facteurs.

Tout d’abord, les différentes cultures ont des manières différentes d'exprimer et d'interpréter le bonheur. Par exemple, dans certaines cultures, le bonheur est souvent associé à la paix et à l'harmonie sociale, tandis que dans d'autres, il peut être plus étroitement lié à l'accomplissement personnel et aux droits individuels. Ces nuances culturelles peuvent avoir un impact significatif sur la manière dont le bonheur est rapporté et perçu. Ce qui constitue le bonheur dans un pays peut ne pas avoir la même signification dans un autre, ce qui rend les comparaisons directes difficiles.

Ensuite, les enquêtes et les études utilisent des méthodologies différentes pour mesurer le bonheur, ce qui peut affecter les résultats. Des facteurs tels que la formulation des questions, le support de l'enquête (en ligne, en face à face, etc.) et le moment de l'enquête peuvent influencer la manière dont les gens répondent. Un biais de réponse peut se produire si les personnes de certaines cultures sont plus enclines à faire état d'émotions positives ou plus réticentes à admettre leur malheur. En outre, les méthodes d'échantillonnage peuvent varier et si l'échantillon n'est pas vraiment représentatif de la population d'un pays, cela peut fausser le résultat.

En outre, les conditions économiques, la stabilité politique et les normes sociales influencent grandement les niveaux de bonheur. Comparer des pays dont les contextes sont très différents, peut être trompeur, car cela risque de négliger l'interaction complexe des facteurs qui contribuent au bien-être.

Enfin, la traduction des questions d'une enquête d'une langue à l'autre peut entraîner une perte de nuances ou une légère modification du sens, ce qui peut affecter la manière dont les questions sont comprises et les réponses données.

Voilà autant de raisons pour nous amener à la prudence quand on compare le niveau de bonheur d’un pays à l’autre.


(1). Richard Easterlin, né en 1926, est un économiste américain professeur à l’Université de Californie du Sud.


jeudi 15 février 2024

Presque un tableau contemporain

7 commentaires:

Victor Ginsburgh

La faim avant la mort

Il est sans doute vrai que les couleurs s’associent bien et en font presque un tableau contemporain. Mais il s’agit d’une course misérable qui reste aux habitants de Gaza, y compris aux enfants et à leur nourriture.

D’après un article de Haaretz (1), 11.500 enfants ont été tués à Gaza, dont quelque 260 bébés de moins d’un an. Pour faire le tableau plus rude, le journaliste Gideon Levy en donne quelques noms: Abdul Jawad Hussu, Abdul Khaleq Baba, Abdul Rahim Awad, Abdul Rauf al-Fara, Murad Abu Saifan, Nabil al-Eidi, Najwa Radwan, Nisreen al-Najar, Oday al-Sultan, Zayd al-Bahbani, Zeyn al-Jarusha, Zayne Shatat.

L’UNICEF estime que “17.000 enfants sont livrés à eux-mêmes, parce que leurs parents ont disparu, Il est extrêmement difficile de retrouver leur trace. Parfois ils ne connaissent pas même leur nom et pire, ils ont été tués par les Israéliens... (2).

Gaza, enfants interdits de balançoires

Toujours selon l’UNICEF, “plus d'un million d’enfants de la bande de Gaza, presque la totalité, ont besoin d'une aide en termes de santé mentale, contre plus de 500.000 avant le début de cette guerre. Le représentant de l’OMS dans les territoires palestiniens indique que parmi les 36 hôpitaux à Gaza, 21 ne sont pas en état de marche, 13 le sont partiellement. Il en reste deux qui continuent à fonctionner correctement. Il n’en reste pas moins que 8.000 personnes ont besoin d'être évacuées de Gaza dont 6.000 en raison de blessures de guerre et 2.000 en raison d'autres problèmes de santé. L’OMS réclame des évacuations régulières, mais jusqu'à présent près de 1.250 seulement l'ont été” (2).

Voir aussi ce qui arrive à une de 17.000 enfants qui ont perdu leurs parents.

“L’OMS est récemment confrontée à des refus des convois prévus pour réapprovisionner des centres de santé. Les habitants de Gaza sont visiblement affaiblis et amaigris par manque de nourriture” (2).

Pour terminer, un article du New York Times titre que des “videos faites par les soldats israéliens les montrent encourager leurs destructions et se moquer des Gazaouis” (3).

Voir the results of Israel's current military .


(1) Gideon Levy, 11,500 children have been killed in Gaza. Horror of this scale has no explanation, Haaretz, February 4, 2024.
(2) Agence France-Presse, Au moins 17.000 enfants séparés, Rafah ‘usine à désespoir’, L’Orient-Le Jour, 2 février 2024.
(3) Aric Toler, Sarah Kerr, Adam Sella, Arijeta Lajka and Chevaz Clarke, What Israeli soldiers’ videos reveal: Cheering destructions and mocking Gazans, The New York Times, February 7, 2024.

jeudi 8 février 2024

Deeds 

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Pierre Pestieau 

J’ai récemment revu l’excellente comédie de Frank Capra, L'Extravagant Mr. Deeds  (Mr. Deeds Goes to Town). Certes, ce film de 1936 date; mais il se laisse encore regarder. 

C’est une histoire qui rappelle l’Amérique que l’on aime. Un jeune homme simple, Longfellow Deeds, doit se rendre à New York pour toucher un héritage important et inattendu. A son arrivée, il devient la cible d'avocats véreux convoitant sa fortune, et de journalistes peu scrupuleux. Il décide de distribuer son immense fortune aux pauvres et aux chômeurs qui sont légion en ces années de crise.

Je me suis demandé ce qu’une personne bien comme ce Mr. Deeds devrait faire à l’époque actuelle. Le film laisse entendre que son héritage comprend de nombreux investissements qui sont loin d’être éthiques. Je vois quatre stratégies. La première est celle qu’il veut suivre, à savoir liquider son héritage et le distribuer aux déshérités. Quelle que soit la règle de distribution, il ne pourra aider qu’une infime minorité de ces victimes de la crise et de ce fait créer beaucoup de ressentiment. 

Une deuxième stratégie consisterait à restructurer son patrimoine de façon à ce qu’il soit investi dans des fonds ou des activités totalement éthiques. Dans ce cas, il est vraisemblable que les rendements soient moins élevés. Il lui resterait à distribuer les revenus de ces investissements aux plus déshérités. 

Une troisième stratégie serait de jouer le jeu capitaliste pur et dur : rendements maximaux et recours à l’ingénierie fiscale. Cela devrait conduire à des revenus supérieurs à ceux auxquels conduirait la deuxième stratégie. Du coup, il y aurait davantage de ressources à distribuer aux damnés de cette terre.  

Une quatrième stratégie, plus originale, serait d’utiliser ce patrimoine pour financer un parti politique dont on sait avec certitude qu’il a des chances d’accéder au pouvoir et d’œuvrer en faveur de programmes sociaux et économiques censés aider les plus démunis et sauver notre planète. Bien sûr, il faut espérer qu’un tel parti existe. 

Si cette condition pouvait être remplie, j’opterais pour ma part pour cette dernière stratégie. Il faut en effet se rappeler qu’une politique sociale ou culturelle, quelle qu’elle soit, qui serait fondée sur des donations ou des contributions volontaires n’aura jamais l’ampleur et la générosité qu’elle aurait si elle était menée par l’État et financée sur l’impôt. Le recours aux contributions volontaires se heurte au phénomène du passager clandestin : même le plus altruiste des individus comptera sur la contribution des autres pour minorer la sienne. C’est la critique qui a été adressée aux États Unis au conservatisme compassionnel, cette philosophie politique  qui consiste surtout à soutenir les activités charitables des associations religieuses pour progressivement remplacer l’État providence dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Cette approche défendue par George Bush lors de son élection en 2001 a fait long feu. 


jeudi 1 février 2024

Je suis de retour...

15 commentaires:

Victor Ginsburgh

J’ai traversé, comme vous pouvez le penser, de très mauvais moments: hôpitaux de toutes sortes, médecins pas toujours agréables, et incapacité de marcher du tout. Un peu plus tard, j’ai “reçu” une béquille, que je cache de plus en plus souvent dans un coin de ma bicoque.

Je monte et descends les escaliers sans béquille à tel point que souvent je ne sais plus où je l’ai laissée, ce qui me fait de nouveau monter ou descendre. Ouf, sauf que les promenades sont encore difficiles et je tiens à ma canne (c’est quand même un mot plus élégant que béquille), à moins que ce ne soit elle qui tient à moi.

Me voici revenu pour aider, pour autant qu’il en ait besoin, mon collègue blogueur Pierre qui m’a souvent houspillé de m’y remettre.

Voilà la chose est faite ou comme le disait Jules César alea jacta est, et le Rubicon est presque traversé, sans doute encore avec ma canne.

Vous ne m’en voudrez pas, je l’espère, d’être lent dans mon écriture autant que dans mes déambulations dans (ou sur) l’internet qui, souvent me permettent de trouver des sujets bien plus importants que ceux qui sont dans la cervelle de mon âge qui devient de plus en plus respectable.

J’ai quelques sujets dans ma poche, mais ceci est une autre histoire, et je me permettrai de ne pas rallonger ce premier blog nouveau, comme le vin peut l’être. Hélas, mes proches surveillent ma consommation à un verre par jour...

On se revoit dans quinze jours, je ne veux pas être plus long… à ton tour, très cher Pierre.