jeudi 15 décembre 2022

Vivre seul ? Un choix coûteux. Mais est-ce un choix ?

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Pierre Pestieau

Un article récent du New York Times (1) reprend une série d’études consacrées à la croissance rapide du nombre de personnes vivant seules et aux implication de cette croissance. Rien de très diffèrent de ce que nous connaissons en Europe.

En 1960, 13 % seulement des Américains vivaient seulsCe chiffre n'a cessé d'augmenter, pour atteindre aujourd'hui près de 30 %. Près de 26 millions d'Américains de 50 ans ou plus vivent désormais seuls, contre 15 millions en 2000. Les personnes âgées sont plus susceptibles que les autres de vivre seules, et aujourd'hui, ce groupe d'âge - les baby-boomers et les membres de la génération X (2)- représente une part plus importante de la population que jamais dans l'histoire du pays. Les personnes de plus de 50 ans sont aujourd'hui plus susceptibles que les générations précédentes d'être divorcées, séparées ou jamais mariées. Plus de 60 % des personnes âgées vivant seules sont des femmes.

Mais si de nombreux quinquagénaires et sexagénaires s'épanouissent en vivant seuls, la recherche montre sans équivoque que les personnes qui vieillissent seules ont une moins bonne santé physique et mentale et une durée de vie plus courteque celles qui vivent avec d'autres personnes. Et même avec une vie sociale et familiale active, elles se sentent généralement plus seules.

À bien des égards, le parc immobilier des États-Unis n'est plus en phase avec cette évolution démographique. De nombreuses personnes âgées vivant seules le font dans des maisons comportant au moins trois chambres à coucher. Ellestrouvent qu'il n'est pas facile de réduire la taille de leur habitat en raison de la pénurie de logements plus petits dans leurs villes et leurs quartiers. Il y a 40 ans, les logements de moins de 130 mètres carrés représentaient environ 40 % de toutes les nouvelles constructions de logements ; aujourd'hui, seulement 7 % de celles-ci sont des logements plus petits, malgré le fait que le nombre de ménages d'une seule personne a augmenté.


En outre, une part croissante des seniors - environ un Américain sur six  - n'ont pas d'enfants, ce qui soulève des questions sur la façon dont ils seront traités dans le cas probable de perte d’autonomie. La pandémie du Covid 19 a frappé d’avantage ces seniors solitaires que ceux qui vivent avec d’autres.



Si l’on revient sur l’ancien continent, les chiffres sont les mêmes. En France comme en Belgique, plus du tiers des personnes de plus de 65 ans vivent seules et ce chiffre ne cesse d’augmenter.


Face à ce tableau, il serait facile de blâmer ces seniors d’avoir choisi une solitude qui leur coûte si cher. C’est oublier que dans la plupart des cas cette solitude leur est imposée par les circonstances de la vie. Se forcer à vivre avec une ou plusieurs autres personnes peut aussi avoir un coût qu’il est difficile de mesurer et que certains doivent encourir.


Et puis, il y a la merveilleuse chanson de Reggiani avec ce refrain: « Non, non je ne suis jamais seul avec ma solitude. »



(2). La génération X désigne les personnes nées entre 1961 et 1981. Cette génération est intercalée entre celle des Babyboomeurs et celle des milléniaux.

jeudi 8 décembre 2022

Combien de temps dure le voyage jusqu’à la frontière de l’univers ?

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Victor Ginsburgh

J’ai été un très fervent lecteur des ouvrages de science-fiction presque réelle d’Isaac Asimov, Professeur de biochimie à l’Université de Boston. Je pensais les avoir tous, mais ai dû accepter que je suis dans l’erreur la plus totale, parce que la réalité dépasse la fiction. Selon Wikipedia (1), Asimov a écrit plus de 500 livres et quelque 90.000 lettres. Il avait très peur de prendre l’avion et ne l’a fait que deux fois durant sa vie (1920-1992), alors qu’il écrivait notamment sur les voyages dans l’espace… mais aussi sur l’Empire Romain, l’Egypte, la Bible et autres. Un astéroïde a été nommé 5020 Asimov et un timbre de la République de Djibouti (entre autres) a été imprimé en son honneur en 2010. Vraiment un génie. A part qu’il aimait pincer les fesses des femmes qu’il rencontrait.

Ce qui m’amène à un très récent article du New York Times (2) dont je ne sais pas si c’est une plaisanterie ou une réalité, mais les calculs sont sérieux. L’auteur de l’article estime que la fin de l’univers observable est de 270.000.000.000.000.000.000.000 miles (1 mile = 1,6 Km). Si vous voulez aller voir avec votre voiture (autre qu’une Porsche ou une Maserati) à du 65 miles/heure, cela vous prendra 480.000.000.000.000.000 années pour y arriver, ou encore 35 de millions de fois l’âge actuel de l’univers, pour autant qu’il puisse y avoir un début et une fin à ce dernier (3).

L’auteur de l’article vous prévoit une route et un voyage assez dangereux, parce que vous risquez sans aucun doute de vous endormir au volant et n’éviterez pas le crash sur une aussi longue distance. Vous risquez aussi la panne de carburant évidemment, et aurez besoin d’une citerne d’essence aussi importante que le volume de la lune ; n’oubliez surtout pas de vous arrêter assez souvent pour faire le plein d’essence, pour autant qu’il y en ait encore. Pour votre facilité, la citerne sera attachée à l’arrière de votre véhicule. N’oubliez pas non plus qu’il faut aussi changer l’huile de temps à autre et il n’est pas du tout sûr que vous trouviez suffisamment de garages sur votre future route.

Rappelez-vous que vous devrez aussi vous nourrir. Vous ne trouverez pas de restaurants universitaires, mais peut-être bien des restaurants étoilés. Munissez-vous néanmoins d’un bon paquet de biscuits secs et de quelques barres de chocolat.

Vous n’aurez, heureusement pour vous, pas de camions qui vous ralentiront sur votre autoroute, parce qu’ils sont interdits dans l’espace. Au moins une bonne chose.

Et vous êtes enfin arrivé. Hélas, comme vous le voyez, il n’y a pas grand-chose à voir... en tout cas pas beaucoup plus que ce que vous voyez de la terre.




(1). https://en.wikipedia.org/wiki/Isaac_Asimov

(2). Randall Munroe, How long is the drive to the edge of the universe, The New York Times, September 12, 2022.

https://www.nytimes.com/2022/09/12/science/randall-munroe-xkcd-universe-driving.html

(3). Voir Big Bang unique ou rebondissement à l’infini et pas de commencement, blog du 1er septembre 2022, http://www.thebingbangblog.be

jeudi 1 décembre 2022

Réussir sa sortie

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Pierre Pestieau

Il y a quelques semaines, j’ai publié un livre intitulé : Vivre heureux longtemps (1). La perte récente de deux êtres chers m’a fait comprendre que j’aurais dû y ajouter un chapitre sur la fin de vie ou, plus précisément, sur la possibilité d’assurer dignement sa sortie. Les enquêtes le montrent. A 70 ans, la majorité des gens se déclarent heureux. Ils ne se sont jamais sentis aussi heureux. Ce qui pose problème est la fin de vie. Comme le graphique ci-dessous le montre éloquemment, après un sommet de bonheur vient la chute qui peut être plus ou moins longue et plus ou moins douloureuse.


Pour certains, frappés par un accident de la route ou une attaque cardiovasculaire, la fin de vie est rapide et il n’y a pas de problème. Pour beaucoup, elle peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. Disons-le d’emblée, le problème n’est pas financier. Même si l’on sait que ce sont les derniers mois de la vie qui sont les plus coûteux pour notre système de santé, nous avons les moyens budgétaires de les couvrir. L’enjeu est de parvenir à partir dans la dignité. Quelle tristesse de voir des gens qui ont eu une vie admirable, la terminer lamentablement. Sur ce point, les riches et les pauvres sont logés à la même enseigne. Les uns et les autres peuvent connaître des fins de vie pénibles. Une sorte de justice bien tardive.

Nos sociétés ne semblent pas avoir trouvé la recette qui assure à tout un chacun une fin de vie digne. Témoins les cas de maltraitances tant institutionnelles que familiales qui se multiplient avec le vieillissement. Témoins aussi les nombreux cas d’acharnement thérapeutique que très souvent la personne âgée subit et ne choisit pas. De nombreuses personnes âgées ont une fin de vie sans doute plus indigne que cette vieille femme que le fils ainé abandonnait au sommet du Narayama (2) dans une vieille légende japonaise. Quand on voit la manière dont les seniors ont été traités pendant la pandémie, on se demande où sont les valeurs que l’on invoque si facilement pour condamner ces pratiques traditionnelles.


La recherche d’une fin de vie digne est indispensable mais elle se heurte à la réalité de la souffrance qu’entraine le naufrage de la vieillesse. La question est d’aménager au mieux ce naufrage. Dans les sociétés traditionnelles, cet aménagement relevait de la coutume, comme dans la Ballade de Narayama. Dans les sociétés contemporaines, il est du ressort de l’État qui se doit de protéger les plus frêles de ses citoyens. Il doit le faire en encadrant davantage les soins apportés aux personnes âgées en institution ou au sein de la famille pour éviter la maltraitance, autant que faire se peut. Il doit aussi le faire en permettant à toute personne de mettre fin à ses jours quand elle estime que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Sur ces deux points, on est loin du compte. L’encadrement des personnes en fin de vie laisse à désirer et même en Belgique pourtant jugée comme exemplaire en la matière, l’euthanasie peut se heurter à des obstacles administratifs et à des réticences du corps médical dont on pourrait se passer.

La famille joue aussi un rôle prépondérant. Elle peut apporter un réconfort bien nécessaire en ces moments difficiles. Tout le monde ne peut pas compter sur une famille aimante. Certains se trouvent terriblement isolés en fin de vie. 

Mais, il faut cependant être réaliste. Même si l’État réussissait la gageure d’améliorer la qualité des soins donnés aux personnes fragiles grâce à un personnel aidant plus qualifié, mieux payé et plus nombreux, même si l’euthanasie était rendue moins rébarbative, même si l’on est entouré d’une famille affectueuse, on ne pourra pas toujours éviter ces situations où quelqu’un a pu avoir une vie belle et longue, qui se termine par une triste fin.



(1). Pierre Pestieau et Xavier Flawinne, Vivre heureux longtemps, Paris : PUF, 2022.
(2). Voir mon blog du 27 janvier 2022 : Narayama, un vaisseau spatial.