jeudi 25 février 2021

On ne nous dit pas tout

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Pierre Pestieau

Une humoriste célèbre, toujours habillée de rouge, a eu pendant tout un temps une chronique télévisée appelée « Radio Bistro », qui s’articulait autour d’un « On ne nous dit pas tout », qu’elle répétait comme un mantra. On est selon le dictionnaire un pronom indéfini ou pronom personnel, dont une des acceptions est « une personne indéterminée dans les phrases sentencieuses, les proverbes, les phrases d'ordre général : quand on veut noyer son chien, on l'accuse de rage ».

Le plus souvent les utilisateurs de ce on auxquels je pense font référence à une réalité composite qui rassemble l’État, le monde de l’industrie et de la finance et de plus en plus les multinationales. Dans certains milieux, ce on avait une identité précise. Pendant la période nazie, on parlait de complot judéo-maçonnique ; on en parle encore dans la Hongrie d’Orban. Dans L’Etoile Mystérieuse, ce complot était incarné par un certain Blumenstein de citoyenneté américaine, dont Hergé a changé le nom en Bohlwinkel et la nationalité en Sao Ricain. Il n’a pourtant pas modifié le dessin qui représentait ce personnage et qui évoque les pires caricatures antisémites.  Bien plus tard, dans les années 60, le on a pu être incarné par ce qu’on a appelé la trilatérale, un groupe d’hommes politiques, experts de la politique internationale, ou encore universitaires issus des États Unis, du Japon et d’Europe Occidentale.

Que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux, j’entends ou lis souvent des phrases du type : On laisse les seniors croupir dans des mouroirs, on laisse la richesse s’accumuler dans les mains de quelques-uns sans oser la taxer, on n’a pas le courage de s’opposer aux multinationales, on s’écrase devant les GAFAM. Ou encore on nous cache les méfaits de la G5, des micro-ondes, des éoliennes et des centrales, atomiques ou pas. Plus récemment, on nous a confiné abusivement et on abandonne les profits à tirer des vaccins pour le covid-19 aux grands lobbies pharmaceutiques. 

Dans toutes ces phrases, on trouve l’inévitable triste on, coupable de tous les maux, qui mérite au mieux le bûcher. Il est aisé pour les gens cultivés et informés de se gausser de ce on, qui aurait orchestré dans le désert de l’Arizona le soi-disant alunissage de Armstrong et Cie ou qui cacherait sur une île déserte, Elvis Presley, Mickael Jackson, Coluche et Hitler.

Ces adeptes du on votent pour les partis populistes, souvent contre leurs propres intérêts et ont une aversion profonde pour ces gens cultivés et informés. Il faut bien admettre, si l’on oublie ces phantasmes, dont le plus visible est celui de l’élection volée selon les partisans de Trump, que ce comportement, peut s’expliquer. Le propos « on ne nous dit pas tout » cache une incompréhension fondamentale de la manière dont le monde politique et économique fonctionne aujourd’hui.

Cette incompréhension, je la partage. Nous vivons aujourd’hui une époque dominée par un système capitaliste, financiarisé et mondialisé dans laquelle non seulement le citoyen mais aussi ses gouvernants sont dépossédés de toute responsabilité et ne comprennent pas ce qui se passe. Le on n’est pas une personne ni une société secrète mais un système qui est animé par la recherche constante du profit. La Grande Récession de 2007-2009 et les crises qui l’ont suivie sont un bel exemple de cela et plus près de nous la pandémie du covid-19. Ce sont des crises que l’on ne peut attribuer à personne en particulier, dont l’origine est complexe et dont les solutions sont incertaines.