jeudi 28 mars 2024

Vol de bouteilles de vin dans un célèbre restaurant parisien

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Victor Ginsburgh

Je me suis interdit – ou plus précisément, il m’a été interdit – de boire du vin. Ce n’est donc pas moi qui ai fait ce vol de 80 bouteilles d’un vin rare dans les caves du renommé restaurant parisien La Tour d’Argent (1). Ces bouteilles valent environ 1,5 millions d’euros, soit 18.750 euros la bouteille. Il faut dire que ce sont des Domaine de la Romanée-Conti (pour les détails et les prix, voir (2)) parmi les 300.000 bouteilles qui séjournent dans le cave. Un sommelier a trouvé le vol qui semble avoir eu lieu en 2023 et/ou 2024. 

Dans mes promenades à Paris, lorsque je ne faisais pas cours, j’ai souvent vu ce restaurant, mais n’ai jamais osé y entrer seul et, encore moins, y inviter un ami ou une amie. Le voici dans sa splendeur, au 15, rue de la Tournelle.

Façade de la Tour d'Argent

Mais tout change et le restaurant a déménagé au cinquième étage du même immeuble au 15, rue de Grenelle. Le voici qui est devenu chic mais a perdu cette façade que je trouvais toujours très attractive quand j’y passais (3), sans oser y entrer.

Restaurant déménagé au sixième étage en 2022

Il est amusant de mentionner que déjà à la fin du 16e siècle, le roi Henri III s’y aventurait régulièrement. Il aurait, racontent les archives du restaurant, décidé (un roi ne suggère pas, il décide) d’utiliser la fourchette de manière à ne plus devoir se laver la figure et les mains avant de se rendre aux toilettes.

Fourchettes apparues au 16e siècle

Mais revenons à ces quelque 80 bouteilles que je n’ai pas volées. Ni mon fils d’ailleurs, au contraire, on vient de cambrioler sa maison le 2 février 2024, mais sans succès. En effet, ses vins sont toujours dans sa cave. Et ce sont des vins zéro degré que je n’aime guère. Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est bien trouvé. Essayons, plutôt mon cher fils, d’aller à la Tour d’Argent.

Je paie les agapes et pendant que je déguste, tu fais le tour de la cave et tu ramènes ne fût-ce qu’une bouteille de la Romanée-Conti à ne pas cacher dans ta cave, mais bien dans la mienne, c’est beaucoup plus sûr.



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(1) Jenny Gross, Paris police investigating $1.6 million wine theft from famed restaurant, The New York Times, February 1, 2024.
(2) https://www.twil.fr/france/bourgogne/romanee-conti/romanee-conti-wine-12966.html#364418
(3) Merci à mon co-blogueur Pierre Pestieau de m’avoir signalé qu’en 2022 le vieux restaurant était devenu un nouveau restaurant dans le même immeuble.











jeudi 21 mars 2024

Incertitudes économiques et démographiques

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Pierre Pestieau

Les prévisions démographiques sont incontestablement plus fiables que les prévisions économiques. On peut sans trop se tromper prévoir ce que sera la population de différents pays en 2050. Pour 2100, la prévision est moins certaine. En revanche, il y a peu de consensus sur les implications économiques et sociales que ces évolutions auront.

En bref on devrait assister à l’effondrement de la population de pays comme la Chine, l’Allemagne et le Japon et à l’explosion de la population africaine. L’évolution de la population dépend de deux paramètres, la fécondité et la mortalité, auxquels il faut éventuellement ajouter l’immigration. Autant on s’entend sur les sources de l’augmentation de la longévité, il y a moins de consensus sur les facteurs qui président à la hausse ou la baisse de la fécondité. La fierté nationale ne semble en tout cas pas jouer un grand rôle. Le Japon et l’Allemagne ont des naissances bien en-dessous du nombre nécessaire pour maintenir constante la taille de la population en l’absence de toute migration. Et pourtant, ces pays ont une histoire fortement marquée par un nationalisme exacerbé.

A l’horizon 2100, on peut s’attendre à ce que l’Asie et l’Afrique, à parts quasiment égales, rassemblent plus de 85% de la population mondiale avec l’Inde, étant le pays le plus peuplé, suivie de la Chine et du Nigeria. Même à l’horizon rapproché de 2050, il serait imprudent de prédire comment ces pays évolueront économiquement. Certains le font mais avec une marge d’erreur importante. Selon une étude (1) parmi d’autres, le classement de la part de la production mondiale des grandes puissances est actuellement le suivant : Chine (18%), États Unis (16%), Union Européenne (15%) et Inde (7%). En 2050, ce classement changerait au détriment des Etats-Unis et de l’UE. On aurait l’ordre suivant : Chine (20%), Inde (15%), États Unis (12%) et Union Européenne (9%).

Si les prévisions économiques sont incertaines, ce qui l’est beaucoup moins ce sont les prévisions environnementales. A la différence de l’économie, elles suivent un cours sans cycle, qui débouche à terme sur une catastrophe qui semble inéluctable. Selon le GIEC (2), à politique inchangée, un réchauffement climatique de 3,2 °C d'ici à 2100 est actuellement prévu. Ce n’est là qu’un indicateur parmi d’autres de la détérioration de notre environnement.




jeudi 14 mars 2024

Deux vues récentes sur la guerre Israël – Gaza

4 commentaires:

Victor Ginsburgh

J’ai lu à quelques jours près deux articles sur la guerre entre Israël et Gaza. Je me rends compte que l’un et l’autre sont plus longs que mes blogs habituels. Vous m’en excuserez, mais vous verrez, si vous les lisez qu’ils en valent largement la peine et sont d’autant plus intéressants que leurs auteurs sont tous deux des Juifs qui voient avec beaucoup de subtilité et de désespoir ce qui est en train de se passer au Moyen Orient. Tous les deux craignent des situations dangereuses si Israël (et en particulier, Netanyahu) ne se range pas à plus de raison. Vous trouverez sans difficulté l’accès aux auteurs : Elie Barnavi, un Israélien qui écrit que « Netanyahou, (est) un délinquant narcissique entouré de valets et de fous de Dieu» et Thomas Friedman, un Américain, influent éditorialiste du New York Times qui conseille officieusement Joe Biden sur les problèmes du Proche-Orient.

1. Souvenirs amers de la première guerre du Liban
Elie Barnavi, Ancien Ambassadeur d’Israël, Professeur émérite d’histoire à l’Université de Tel Aviv.

Le lundi 22 janvier a été la journée la plus meurtrière pour Tsahal (l’armée du peuple d’Israël) depuis le début de la guerre de Gaza : vingt-quatre soldats tués, dont trois officiers de la brigade de parachutistes frappés par un missile antichar à Khan-Younès et, d’un coup, 21 réservistes ensevelis sous les décombres de deux immeubles qu’ils étaient en train de piéger dans le centre de la bande, tout près de la frontière israélienne. Les détails du désastre importent peu. Disons que, lorsqu’on manipule d’énormes quantités d’explosifs dans une zone de combat urbain, ce genre d’accident est hautement probable. L’armée va tenter de déterminer ses causes exactes, ce n’est pas mon propos ici. Il reste les larmes pour pleurer des vies fauchées et des familles endeuillées. Puis il reste des questions difficiles.

Et d’abord celle-ci: que faisaient-ils précisément dans ce secteur? Dans une zone censée se trouver sous le contrôle opérationnel total de l’armée, leur mission consistait à raser les immeubles restants afin de créer, à terme, un périmètre de sécurité de 1 km entre la frontière d’Israël et la bande de Gaza. La logique militaire est évidente : il s’agit d’empêcher les terroristes du Hamas et du Djihad islamique non seulement de s’approcher de la frontière, mais aussi de les priver de points d’observation du territoire israélien.

Pour les Israéliens qui, comme moi, gardent en mémoire les événements tragiques de la première guerre du Liban dans les années 1980, cette stratégie sonne comme un bégaiement de l’Histoire. En 1985, lorsque Tsahal s’est retiré de l’essentiel du territoire libanais après trois ans de conflit, il s’est replié sur une « bande de sécurité » large d’une dizaine de kilomètres dans le sud du pays, en gros entre la frontière et le fleuve Litani. Quinze ans durant, la présence militaire israélienne, jointe à celle de ses supplétifs chrétiens de l’Armée du Sud-Liban, a rempli son rôle de bouclier des communautés frontalières de Galilée ; mais ce fut au prix de la vie de plus de cinq cent cinquante soldats tués dans des escarmouches quasi-quotidiennes avec le Hezbollah – un produit de cette guerre, soit dit en passant. À l’époque, c’est l’opinion publique qui a fini par avoir raison de l’obstination du gouvernement et des militaires. Début 1997, dans la foulée d’un accident d’hélicoptère qui a tué 73 soldats, quatre mères de soldats ont commencé à manifester avec leurs pancartes pathétiques « Get Out of Lebanon! » : ainsi naissait le mouvement des Quatre Mères. Trois ans plus tard, Ehoud Barak, fraîchement élu Premier ministre, tire les conclusions du fiasco et, conformément à sa principale promesse de campagne, retire les troupes du Sud-Liban, parachevant ainsi une aventure malheureuse entamée dix-huit ans auparavant.

Alors, pourquoi la « bande de sécurité » qui n’a pas fonctionné à l’époque au Liban fonctionnerait-elle aujourd’hui à Gaza ? D’autant que les terroristes gazaouis disposent de moyens d’observation, d’armes et de tunnels dont les terroristes libanais ne pouvaient que rêver.

Troublant parallélisme, et pas seulement à cause de l’enlisement des troupes, des promesses de « victoire totale », des « solutions » bancales du genre « zone de sécurité » et du manque de perspectives politiques. À l’époque, déjà, le débat public faisait rage, et il se trouvait des politiciens et des chefs militaires pour traiter les Quatre Mères et autres militants contre la guerre de lâches, voire de traîtres. Aujourd’hui, on entend les mêmes horreurs contre les familles des otages, coupables aux yeux des porte-paroles de la droite au pouvoir de « donner des armes au Hamas ». Il est sans doute normal que la question des otages ait remplacé celle des morts au combat.

L’unanimisme guerrier des Israéliens est à la mesure du traumatisme subi le 7 octobre. Mais la saignée subie par nos troupes commence à peser sur le débat public. Après tout, nous avons perdu en un peu plus de trois mois de conflit cinq cent cinquante-deux soldats, soit un nombre équivalent de tués pendant les quinze ans d’occupation de la zone de sécurité au Sud-Liban.

Cependant, le parallélisme le plus déconcertant entre ces deux épisodes guerriers est le rejet absurde, criminel, de toute réflexion de stratégie politique. Quels que soient les coups que Tsahal porte au Hamas, la guerre ne saurait être gagnée si l’on s’obstine, à l’instar de Netanyahou et de ses laquais, à refuser d’envisager le « jour d’après ». Car dans toute guerre, l’aspect militaire n’en est qu’un parmi d’autres. La guerre est toujours, n’est-ce pas, « la continuation de la politique par d’autres moyens ». Cela se vérifie surtout dans le cas des conflits dits asymétriques comme celui-ci. La disparité de la puissance a beau être énorme, le sort des armes ne se décide pas seulement sur le champ de bataille. Faut-il rappeler que l’offensive du Têt du Viêt-Cong a échoué face aux Américains, que les Français ont gagné la bataille d’Alger?

Dans un bourbier stratégique tel qu’Israël n’en a jamais connu, assailli qu’il est de toutes parts, l’internationalisation de la guerre de Gaza est un fait que nous refusons de voir. Nous avons besoin d’alliés, et le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne se bousculent pas au portillon. Pis, comme le montre le théâtre de l’absurde de La Haye, l’État juif est en train de se muer sous nos yeux ébahis en un paria des nations. Et nous faisons de notre mieux pour rendre la vie impossible à notre seul allié : les États-Unis. Or, les États-Unis sont à la peine. Ils espéraient s’extraire du Proche-Orient, les voici forcés de s’y impliquer derechef : soutien militaire massif à Israël ; envoi d’une armada en Méditerranée et dans le Golfe pour tenir en respect l’Iran et le Hezbollah et les empêcher d’ouvrir un deuxième front contre leur allié ; couverture diplomatique à l’ONU. Cette position se paie. Sur le front intérieur, où la désaffection d’un nombre croissant de démocrates dans une poignée d’États clés risque de faire perdre à Joe Biden la présidentielle. Sur le front extérieur, où l’administration ne parvient pas à reformer autour d’elle la coalition qu’elle avait tant bien que mal réunie contre l’agresseur russe en Ukraine. Témoins les couacs de l’opération dite « Gardien de la prospérité » quelle tente d’organiser, afin de faire face à la menace que font peser les Houtis sur les voies maritimes en mer Rouge, laquelle obère pourtant gravement le commerce international.

Nous en sommes là : un conflit asymétrique dans un coin de la Méditerranée orientale, qui métastase dans la région et au-delà, met à mal les équilibres régionaux et internationaux, et risque d’allumer une guerre majeure dont personne en veut. Or, pour faire face à la pire crise de son histoire, Israël dispose de cet unique allié, que Netanyahou, un délinquant narcissique entouré de valets et de fous de Dieu, fait tout pour s’aliéner. Tant que lui sera là, la guerre se poursuivra, sans autre but qu’elle-même, car il en a besoin pour se maintenir au pouvoir. Voilà pourquoi il refuse obstinément d’évoquer le « jour d’après », et se pose en rempart unique contre la création d’un État palestinien dont le monde entier, Américains compris, considère être la seule issue raisonnable à la crise.

Conclusion provisoire : telle qu’elle est conduite, la guerre de Gaza a épuisé ses effets. Il est temps d’en finir.

Regards, 5 février 2024. J’ai reçu l’autorisation de Nicolas Zomersztajn, Rédacteur en Chef de Regards de faire paraître l’article dans mon blog. Merci à Elie Barnavi et à Nicolas Zomersztajn de me l’avoir « prêté »…


2. Israël est en train de perdre son plus grand atout : l’acceptation
Thomas L. Friedman, auteur et journaliste au New York Times

J’ai passé les derniers jours à voyager de New Delhi à Dubaï et Amman, et j’ai un message urgent à transmettre au président Biden et au peuple israélien : je vois l’érosion de plus en plus rapide de la position d’Israël parmi les nations amies – un niveau d’acceptation et de légitimité qui a été laborieusement construit au fil des décennies. Et si Biden ne fait pas attention, la position mondiale de l’Amérique s’effondrera en même temps que celle d'Israël.

Je ne pense pas que les Israéliens ou l’administration Biden apprécient pleinement la rage qui bouillonne dans le monde entier, alimentée par les médias sociaux et les images télévisées, à propos de la mort de tant de milliers de civils palestiniens, en particulier des enfants, et ce, avec des armes fournies par les États-Unis. Le Hamas a beaucoup à répondre d’avoir déclenché cette tragédie humaine, mais Israël et les États-Unis sont considérés comme étant à l’origine des événements et recevant la plus grande partie du blâme.

Il est évident qu’une telle colère déborde dans le monde arabe, mais je l’ai entendue maintes et maintes fois dans des conversations en Inde au cours de la semaine dernière – de la part d'amis, de chefs d’entreprise, d’un fonctionnaire et de journalistes, jeunes et vieux. C'est d’autant plus révélateur que le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi, dominé par les hindous, est la seule grande puissance du Sud à avoir soutenu Israël et à avoir constamment accusé le Hamas d'avoir invité les représailles israéliennes massives et la mort d'environ 30 000 personnes dont, selon les responsables de la santé de Gaza, la majorité sont des civils.

Autant de morts civiles dans une guerre relativement courte serait problématique dans n’importe quel contexte. Mais quand tant de civils meurent dans une invasion de représailles qui a été lancée par un gouvernement israélien sans aucun horizon politique pour le lendemain matin – et ensuite, lorsque le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, propose enfin un plan du lendemain matin qui dit essentiellement au monde qu’Israël a maintenant l’intention d’occuper à la fois la Cisjordanie et Gaza indéfiniment – il n’est pas surprenant que les amis d’Israël s'éloignent et que l'équipe Biden commence à le faire.

Comme me l’a dit Shekhar Gupta, le rédacteur en chef chevronné du journal indien ThePrint : « Il y a énormément d’amour et d’admiration pour Israël en Inde. Mais une guerre sans fin le mettra à rude épreuve. Au-delà du choc initial et de l’effroi, la guerre de Netanyahou porte atteinte au plus grand atout d’Israël : la croyance largement répandue en l’invincibilité de son armée, en l’infaillibilité de ses services de renseignement et en la justesse de sa mission.

Chaque jour apporte de nouveaux appels à l’interdiction d’Israël des compétitions ou des événements internationaux académiques, artistiques et sportifs. Il est vrai qu’il est hypocrite de cibler Israël pour le censurer – tout en ignorant les excès de l’Iran, de la Russie, de la Syrie et de la Chine, sans parler du Hamas. Mais ce gouvernement israélien fait des choses qui les rendent trop faciles. Beaucoup d’amis d’Israël prient maintenant pour un cessez-le-feu afin que leurs citoyens ou leurs électeurs – en particulier leurs jeunes – ne leur demandent pas comment ils peuvent être indifférents à tant de victimes civiles croissantes à Gaza.

En particulier, de nombreux dirigeants arabes qui, en privé, veulent voir le Hamas détruit, comprennent à quel point il est une force déformée et destructrice, subissent des pressions de la rue auprès des élites pour qu’elles se distancient publiquement d’un Israël qui n’est pas disposé à envisager un horizon politique pour l’indépendance palestinienne sur quelque frontière que ce soit.

Ou, comme Netanyahou l’a récemment précisé : Israël gardera le contrôle de la sécurité sur Gaza, le territoire sera démilitarisé, la frontière sud de la bande avec l’Égypte sera scellée beaucoup plus étroitement en coordination avec Le Caire, l’agence des Nations Unies qui fournit des services de santé et d’éducation primaires aux réfugiés palestiniens sera dissoute et l’éducation et l’administration seront complètement remaniées. L’administration civile et le maintien de l’ordre au quotidien seront basés sur «des éléments locaux ayant une expérience de l’administration et de la gestion ». Qui paiera pour tout cela et comment les Palestiniens locaux seront enrôlés pour perpétuer le contrôle d’Israël n’est pas expliqué.

J’ai une réelle sympathie pour le dilemme stratégique auquel Israël a été confronté le 7 octobre – une attaque surprise du Hamas qui a été conçue pour rendre Israël fou en assassinant des parents devant leurs enfants, des enfants devant leurs parents, en abusant sexuellement et en mutilant des femmes et en kidnappant des nourrissons et des grands-parents. C’était de la pure barbarie.

J’ai eu l’impression, au moins, que le monde était, au départ, prêt à accepter qu’il y aurait des pertes civiles importantes si Israël voulait éradiquer le Hamas et récupérer ses otages, parce que le Hamas s’était infiltré dans des tunnels sous les maisons, les hôpitaux, les mosquées et les écoles et n’avait fait aucun préparatif pour protéger les civils de Gaza des représailles israéliennes, dont il savait qu’elles se déclencheraient.

Mais maintenant, nous avons une combinaison toxique de milliers de victimes civiles et d’un plan de paix de Netanyahou qui ne promet qu’une occupation sans fin, peu importe si l’Autorité palestinienne en Cisjordanie se transforme en un organe de gouvernement légitime, efficace et à large assise qui peut prendre le contrôle de la Cisjordanie et de Gaza et être un jour un partenaire pour la paix.

Ainsi, toute l’opération Israël-Gaza commence à ressembler de plus en plus de gens à un hachoir à viande humain dont le seul but est de réduire la population afin qu’Israël puisse la contrôler plus facilement.

Netanyahou refuse même d’envisager une nouvelle relation avec les Palestiniens qui ne sont pas membres du Hamas, parce que cela mettrait en péril son fauteuil de Premier ministre, qui dépend du soutien des partis suprémacistes juifs d’extrême droite qui ne céderont jamais un pouce de la Cisjordanie. Difficile à croire, mais Netanyahou est prêt à sacrifier la légitimité internationale durementacquise d’Israël pour ses besoins politiques personnels. Il n’hésitera pas à entraîner Biden avec lui.

Mais le point plus important est qu’une occasion unique de diminuer de façon permanente le Hamas, non seulement en tant qu’armée mais aussi en tant que mouvement politique, est en train d’être gaspillée parce que Netanyahou refuse d’encourager toute perspective, aussi longue soit-elle, de construire une solution à deux États.

Toujours aussi traumatisés par le 7 octobre, à mon avis, les Israéliens ne voient pas qu’au moins faire un effort pour avancer lentement vers un État palestinien dirigé par une Autorité palestinienne transformée et conditionné à la démilitarisation et à la réalisation de certains objectifs de gouvernance institutionnelle. Ce qui n’est pas un cadeau aux Palestiniens ou une récompense pour le Hamas.

Au contraire, c’est plutôt la chose la plus dure et la plus égoïste que les Israéliens puissent maintenant faire pour eux-mêmes – parce qu’Israël est en train de perdre aujourd’hui sur trois fronts à la fois.

Le pays est en train de perdre le récit mondial selon lequel il mène une guerre juste. Il n’a pas l’intentionde sortir de Gaza, il finira donc par s’enfoncer dans les sables avec une occupation permanente quicompliquera sûrement les relations avec tous ses alliés et amis arabes à travers le monde. Et il est entrain de perdre au niveau régional face à l’Iran et à ses mandataires anti-israéliens au Liban, en Syrie, enIrak et au Yémen, qui font tous pression sur les frontières nord, sud et est d’Israël.

Il y a une solution qui aiderait sur ces trois fronts : un gouvernement israélien prêt à commencer le processus de construction de deux États-nations pour deux peuples, avec une Autorité palestinienne qui est vraiment prête et désireuse de se transformer. Cela change le discours qui donne une couverture aux alliés arabes d’Israël pour s’associer à reconstruire Gaza, et il fournit le ciment de l’alliance régionale dont Israël a besoin pour affronter l’Iran et ses mandataires. 
En ne voyant pas cela, je crois qu’Israël met en péril des décennies de diplomatie pour amener le monde à reconnaître le droit du peuple juif à l’autodétermination nationale et à l’autodéfense dans sa patrie historique. Il soulage également les Palestiniens de ce fardeau et les prive de la possibilité de reconnaître deux États-nations pour deux peuples et de construire les institutions et les compromis nécessaires pour que cela se produise. Et, je le répète, cela va mettre l’administration Biden dans une position de plus en plus intenable.

Et cela fait la journée de l’Iran …

Cet article a paru dans The New York Times du 27 février 2024. Mon ordinateur, même s’il est vieux, a traduit l’article de l’anglais en français.

jeudi 7 mars 2024

Peut-on encore être optimiste quant à l’avenir de notre planète ?

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Pierre Pestieau

On peut ne pas être optimiste quant à l’avenir de notre planète sans être pour autant décliniste. Les comportements de nos parents et grand-parents à l’égard de l’environnement étaient loin d’être vertueux. Leur seul mérite était d’être matériellement plus pauvres que nous. C’est pour cette même raison que les pays pauvres polluent beaucoup moins que les pays riches. Dans la tragédie environnementale, on peut distinguer trois types d’acteurs : l’Etat, les producteurs et les consommateurs.

Les États sont tiraillés entre l’intérêt général et l’intérêt électoral. Les événements récents ont montré qu’en cas de crise, ils n’hésitaient pas à oublier le climat. Témoins les reculades à propos des pesticides et des pratiques aquavores face à la colère par ailleurs légitime du monde agricole. Devant la pénurie de logements, le gouvernement français vient de renoncer à interdire la location de passoires énergétiques.

On est moins surpris du comportement des entreprises piégées par la poursuite du profit immédiat, qui ne s’intéressent àl’environnement que pour améliorer leur image en recourant au greenwashing, cette pratique de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique de manière trompeuse. Marx notait déjà que le capitalisme n’avait pas vocation à préserver notre environnement (1).

Reste le consommateur, c’est-à-dire nous, qui apparaît comme le seul maillon décisionnel capable de forcer le capitalisme à prendre enfin le climat et l’environnement au sérieux En adoptant des comportements plus durables et éthiques, le consommateur aurait le pouvoir de dicter sa loi à l’ensemble du système, supplantant les États et les entreprises. Mais cela impliquerait un cahier des charges exigeant, faisant appel à sa conscience citoyenne et transformant la consommation en acte politique. Se transformer en consommateur responsable, cela exigerait de s’informer sur la durabilité, la localisation des produits, de concrétiser en acte la préférence pour les produits durables, recyclables, économes en énergie, incorporant des matériaux respectueux de l'environnement, issus de chaînes d'approvisionnement équitables et de refouler les achats impulsifs menant à la surconsommation. La plupart des citoyens seraient d’accord avec ce cahier de charges mais force est de constater qu’il est en décalage total avec leurs comportements. On prendra trois exemples : baisse de la consommation des produits bios, croissance des voyages en avion et aspiration à vivre loin des centres villes.

La majorité des consommateurs se disent responsables mais dans la réalité leur comportement ne dérange pas, voire arrange beaucoup de monde. Par l’inefficacité de ses effets, ce comportement est ce qui permet aux grands acteurs privés et publics de gagner du temps et de faire mine que tout change pour que rien ne change, pour reprendre la fameuse réplique du Guépard. Il permet aux autres acteurs, États et entreprises, de continuer à jouer leur partition et à s’engouffrer dans un greenwashing profitable.




(1). Voir mon blog du 26/12/2021, Marx et l’environnement :