vendredi 26 août 2011

Uper tis Ellados—A la Grèce

Victor Ginsburgh

Voici un extrait d’un texte de François de Rose qui a paru dans Le Monde du 22 juillet 2011 :

« Cela dit, ne conviendrait-il pas de réfléchir aussi à la dette due à la Grèce ? Il y a vingt-cinq siècles, les Grecs, avec L’Odyssée et L’Iliade ont donné deux livres sans lesquels toute bibliothèque est incomplète. Platon et Aristote nous ont donné les bases d’une philosophie qui n’a cessé d’inspirer la nôtre, Archimède et Pythagore les bases de certaines branches de nos mathématiques, Hippocrate les fondements de la déontologie médicale, Périclès et Solon les fondements de la démocratie, dont nous croyons à tort ou à raison qu’elle peut faire régner la paix dans le monde. N’y a-t-il pas là un capital acquis que nous aurions mauvaise grâce à oublier ? Alors pourquoi ne pas donner à la Grèce un crédit capable de compenser les 200 ou 300 milliards d’euros qu’elle a dilapidés ? »

On se rappellera que c’est la banque d'affaires américaine Goldman Sachs qui, entre 2001 et 2002, a aidé la Grèce à dissimuler ce qui se passait dans les comptes publics ; que celui qui dirigeait les opération européennes de ladite banque n’en savait rien, mais n’en sera pas moins le prochain président de la Banque Centrale Européenne ; que les béotiens de Standard and Poor’s, Fitch ou Moody’s dont la connaissance se limite à des jongleries financières, n’ont sans doute jamais lu une ligne d’Homère, et ont le culot de se tromper de 2 000 milliards de dollars en évaluant la dette publique américaine.

Moody’s a réagi à la catastrophe du marché de l’immobilier de 2007 aux Etats-Unis en licenciant ceux de ses analystes qui avaient annoncé la crise, tout en donnant des promotions aux autres. L’assureur allemand Hannover Re avait refusé, malgré plusieurs offres, les notations que Moody’s lui offrait gratuitement. Il s’est vu dégrader sa note après chaque refus, ce qui lui a valu une perte de valeur $175 millions lorsque Moody’s a fini par donner à ses dettes la note « junk » (1).

Par contre les trois agences ont résisté à dégrader la note d’Enron, jusqu’à quatre jours avant la faillite de la société (2). Quelle sagacité !

Arrêtez de vous fier à ces singeries et mettez-vous à la lecture d’Homère. Vous vous sentirez bien mieux, et moi aussi. La réduction de la note américaine devrait vous faire lire Melville, en particulier Bartelby et sa célèbre réponse à chacune des propositions que lui fait son patron : « I would prefer not to », même quand son patron le renvoie ; ou Nabokov et Lolita : « Lo-lee-ta: the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three on the teeth. Lo. Lee. Ta ». Et quand Standard and Poor’s aura réduit la note italienne, rappelez-vous des Odes d’Horace. Mais si, comme moi, vous les trouvez casse-pieds, rabattez-vous sur les Elégies de Catulle, elles sont plus lestes.

***

Avec une certaine joie, je vous l’avoue, je vous signale que Deven Sharam, le grand patron de l’agence de notation Standard and Poor’s est démissionnaire, et que l’agence est sous la loupe des enquêteurs de la U.S. Securities and Exchange Commission depuis quelques semaines, bien avant que la note des Etats-Unis ait été dégradée. En cause : les notations très favorables données aux subprimes.

En (sub)prime, je vous envoie la dernière recette miraculeuse de Mme Lagarde, non pas pour empêcher la chute des cheveux, mais pour sauver nos économies en déroute (3):

« Le rééquilibrage budgétaire doit résoudre une équation délicate en n’étant ni trop rapide ni trop lent […] Ne laissons pas le coup de frein budgétaire bloquer la reprise mondiale. »

Je me sens beaucoup mieux depuis que je sais cela.

(1) Alec Klein, Credit raters’ power leads to abuses, some borrowers say, Washington Post 24 novembre 2004. (http://en.wikipedia.org/wiki/Moody's).

(2) Business Week, 8 avril 2002.

(http://www.ba.metu.edu.tr/~adil/BA-web/bus%20press/credit%20raters.pdf).

(3) L’Echo, 17 août 2011, p. 3.

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