samedi 24 septembre 2011

Trois écarts

Pierre Pestieau

Ces derniers mois, mon attention a été attirée par trois types de délinquance scientifique dans le microcosme des économistes. Elles concernent des collègues dont on taira les noms. La première est tout bêtement le plagiat. On pique un article d’un auteur peu connu dans une revue peu connue et on le publie sous son nom en gardant jusqu’aux fautes de frappe de l’original. La deuxième consiste à publier simultanément le même article dans quatre revues scientifiques. La troisième est plus subtile; il s’agit de la publication d’informations sans fondement scientifique, et qui ne peuvent être infirmées puisqu’elles mesurent des phénomènes non mesurables. Mon exemple favori est celui qui porte sur des indicateurs de l’économie souterraine (travail au noir, fraude, activités criminelles) pour plus d’une centaine de pays et les deux dernières décennies.

Ces trois types de délinquance ne sont pas les seuls possibles. On peut aussi citer des recherches qui, poursuivant un objectif idéologique précis, s’appuient sur une manipulation des données. La plus célèbre ne ressort pas du champ de l’économie mais plutôt de la psychologie ; c’est l’étude de Cyril Burt (1) publiée dans les années 1960 qui, pour prouver que l’essentiel de l’intelligence est héritée et non acquise, utilise un échantillon de jumeaux vrais et faux dûment trafiqué. Le résultat était destiné à justifier la réduction de dépenses sociales visant à égaliser les chances de chacun, dépenses évidemment inutiles, si l’intelligence est innée.

Mais revenons à nos trois délinquances. Peut-on les comparer comme on pourrait comparer la peste, le choléra et la lèpre ? Du point de vue légal, le plagiat est sans doute le plus condamnable. La publication multiple du même article peut entraîner des problèmes de réputation dans la profession, sans plus. Quant aux données sur l’économie souterraine, elles sont utilisées par les politiciens, les journalistes et les collègues pour étayer leur discussion des phénomènes de fraude et de travail au noir. Que leur fondement scientifique soit discutable pour ne pas dire nul ne semble pas troubler leurs utilisateurs. Cette délinquance n’a certainement rien d’illégal. Mais selon moi elle est scientifiquement la plus dommageable.

Dans le cas du plagiat et de la publication multiple, les articles en cause étaient relativement bons. Ils avaient d’ailleurs subi l’épreuve de l’arbitrage anonyme. Arbitrage qui n’est certes pas parfait mais on ne peut pas blâmer un referee d’ignorer que le même article a été soumis ailleurs ou qu’il a été publié dans une revue mineure. Dans le cas d’indicateurs sans fondement, qui de surcroît sont largement utilisés, ils peuvent conduire à des conclusions scientifiques ou à des recommandations politiques erronées. Le producteur de ces indicateurs n'est pas le seul à blâmer. Les utilisateurs le sont aussi car ils ne peuvent ignorer que des mesures de ce qui n’est pas mesurable posent problème (2).

(1) A ce sujet voir A. Jacquard http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1978_num_5_2_1914

(2) Dans un domaine connexe, celui des faussaires et des imposteurs, j’aimerais citer deux ouvrages. Le premier est tout récent. Il s’agit de Pascal Boniface, Les Intellectuels faussaires : le triomphe médiatique des experts en mensonges, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2011. Le second est plus ancien : Il s’agit des Impostures intellectuelles d'Alan Sokal et Jean Bricmont publié en 1997 chez Odile Jacob. Boniface essentiellement reproche à certains intellectuels français de sciemment mentir pour défendre la cause de la politique israélienne soutenue par les Etats-Unis. Sokal et Bricmont font une critique assez dure des auteurs regroupés sous le nom de philosophes postmodernes, qui utilisent erronément ou inutilement les concepts ou le vocabulaire des mathématiques ou de la physique.

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