jeudi 22 mars 2012

Le Petit Poucet au Japon

Pierre Pestieau

« Misère et famine règnent sur le pays. Un bûcheron et sa femme n'ont plus de quoi nourrir leurs sept garçons. Un soir, alors que les enfants dorment, les parents se résignent, la mort dans l’âme, à les perdre dans la forêt… » Voilà comment débute ce conte dans la version de Wikipedia (1). Un conte pour enfants à ne pas mettre entre les mains des enfants. Même s’il donne lieu a un happy end, ce conte illustre parfaitement la théorie de Malthus : la croissance démographique est dictée par l’écart entre consommation observée et consommation de subsistance. La régulation chez Malthus se fait par le contrôle des naissances ; dans le conte de Perrault on recourt à l’infanticide. Et les grands parents du Petit Poucet ? Etant donne l’espérance de vie en 1697, il est vraisemblable qu’ils étaient tous morts au moment où commence cette histoire. Sinon, ils auraient été les premiers à être abandonnés dans la forêt. En revanche, au Japon, quelques siècles plus tard, la nature est toujours aussi rude et parcimonieuse et les gens vivent plus longtemps. La population des campagnes est obligée de ne pas dépasser un certain âge, et la coutume veut que les habitants arrivant à l'âge de 70 ans s'en aillent mourir volontairement au sommet du Narayama, la montagne aux chênes, comme nous le raconte l’extraordinaire film « La Ballade de Narayama » (1983). Chaque fois qu’un être meurt de sa mort naturelle ou au sommet de cette montagne, le mariage et la procréation deviennent possibles dans ce village qui ne peut littéralement nourrir qu’un nombre limité et compté de bouches.

Heureusement, ces histoires appartiennent au passé ou à la littérature. La régulation des naissances et des décès se fait plus discrètement. On peut vivre ensemble sans avoir aussitôt des enfants. Dans certains pays on se plaindrait plutôt de ce que la fécondité est trop basse et que l’on s’acharne à prolonger la vie. Tout n’est cependant pas résolu. Quand on voit la manière dont sont traitées les personnes âgées, on se peut se demander s’il ne vaudrait pas mieux finir sa vie au sommet du Narayama que dans certains mouroirs. Et si on porte le regard sur les pays du sud, particulièrement ceux de la Corne de l’Afrique où règnent encore famines et épidémies, on se prend à regretter le Petit Poucet.

(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Poucet

(2) Le Petit Poucet est un conte de Charles Perrault paru dans Contes de ma mère l'Oye en 1697.

Illustration: Le Petit Poucet, Gustave Doré.

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