mercredi 15 février 2017

Superstructure

Pierre Pestieau

Les sociologues aiment distinguer les types d’Etat providence. Citons deux taxonomies classiques. Il y a d’abord la typologie duale qui oppose deux grands modèles : l’État-providence bismarckien, créé en Allemagne en 1880, et l’État-providence béveridgien, apparu au Royaume-Uni après la Seconde Guerre mondiale. Le premier est fondé sur le mécanisme des assurances sociales, dans lequel les prestations sont la contrepartie de cotisations, tandis que le second, financé par l’impôt, fournit des prestations uniformes à tous les membres de la société. Il y a aussi  la typologie ternaire du sociologue danois Espingo-Andersen qui distingue trois modèles. D’abord, un modèle libéral dans lequel l’État n’intervient qu’en dernier recours et le rôle principal revient aux mécanismes de marché. Les pays archétypes de ce modèle sont le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Australie. Ensuite, le modèle familio-corporatiste où la qualité de la protection sociale dépend de la profession et des revenus, selon une logique d’assurance. La famille y joue un rôle prépondérant.  Relèvent  de ce modèle l'Autriche, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et la France. Enfin, le modèle social-démocrate qui vise à renforcer la possibilité d’une indépendance individuelle. Les principaux pays qui se rapprochent de ce modèle : Danemark, Finlande, Pays-Bas, Norvège et Suède.


La question que l’on peut se poser est celle de la pertinence de ces distinctions qui relèvent de l’histoire sociale et politique des pays concernés. Quand on essaie d’évaluer la performance des Etats providence européens en fonction de leurs objectifs traditionnels de protection et de redistribution, on est frappé de voir que ces distinctions ne jouent qu’un rôle minime. Tout au plus voit-on que les pays scandinaves performent mieux que les autres. De là à penser que ces distinctions relèvent de ce que Marx appelait la superstructure, il n’y a qu’un pas qu’il est tentant de franchir. Pour Marx, ce qui compte, ce qui détermine les équilibres économiques et sociaux, c’est l’infrastructure, les rapports de production qui dans nos sociétés sont régis par le capitalisme financier et mondialisé et essentiellement motivés par la poursuite du profit. De cette infrastructure, qui régule l’activité de production et la répartition des revenus, découle la superstructure. Le modèle d’Etat providence comme la religion font partie de cette superstructure et selon le point de vue marxiste ils jouent un rôle négligeable dans la croissance et la distribution de ses fruits.


Je reconnais que c’est là un point de vue assez fataliste et sans doute trop extrême ; il ne laisse pas de place à une attitude volontariste. Il est nourri par l’invariance des inégalités des revenus et de la richesse qui semble concerner tous ces pays.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire