jeudi 15 avril 2021

Vaut-il mieux être un scientifique malheureux qu’un scientifique népotique ?

Victor Ginsburgh

Un collègue et moi-même (ni lui ni moi ne sommes des prix Nobel) venons de soumettre un article à deux reprises à des revues, dont le niveau scientifique n’est pas non plus du style Nobel.

La première fois, les trois referees (lecteurs) qui conseillent le rédacteur en chef de rejeter, de réviser, ou d’accepter avaient envoyé des rapports raisonnables et bienvenus. Ils ou elles demandaient, comme il se doit, des modifications pas trop difficiles à faire. Il y avait donc trois rapports. Un des trois que le rédac-chef nous a renvoyés était incomplet : il manquait une page, qui avait visiblement une suite. Notre message au rédac-chef pour l’en informer, n’a été suivi ni d’un non, ni d’un oui, ni d’un peut-être, à moins qu’il n’attende que  nous lui refilions £ 50. Le signe £ signale que c’était donc bien une revue anglaise, qui avait sans doute trouvé que les coûts postaux entre la Grande Bretagne et le continent avaient augmenté depuis le Brexit, même si tout cela passait par email.

 Les trois referees

Nous sommes donc passés à une autre revue, allemande celle-ci, qui nous a répondu le jour- même que l’article ne l’intéressait pas, mais alors pas du tout. Pourtant il s’agissait d’un article qui montrait que dans l’Union Européenne (UE), l’allemand (et le français d’ailleurs) avait perdu un poids énorme face à l’anglais durant ces quelque 50 dernières années, et que les Anglais partis, il serait clair que l’allemand et le français pourraient retrouver l’importance dont ces deux langues jouissaient avant 1973, date d’entrée de la Grande-Bretagne dans l’UE.

Quelques jours plus tard, je tombe sur un article du Monde (1) qui décrit le népotisme dans les revues scientifiques découvert par une équipe de chercheurs qui ont consulté 5 468 revues (et près de 5 millions d’articles). Les premières lignes faisaient un « constat étrange à propos du promoteur de l’hydroxychloroquine », le professeur marseillais Didier Raoult, qui « avait cosigné 32% des 728 articles [de la revue] New Microbes and New Infections ». Le rédacteur en chef et six autres membres du comité éditorial travaillaient avec lui. Ensemble, ces auteurs avaient signé 44% des articles [de la revue] ». Pas étonnant que mon coauteur et moi avons été liquidés : aucun d’entre nous n’était ni rédac-chef, ni membre du comité éditorial des revues auxquelles nous avions envoyé notre article.

Production de l'hydroxychloroquine

Dans un autre exemple du même article, Le Monde rapporte qu’un certain Mark Griffiths de l’Université de Nottingham, avait publié 90 articles en 2019 (soit un article tous les quatre jours, y compris le samedi et dimanche). Il aurait aussi cosigné plus de 13% des articles du Journal of Behavioral Addictions, dans lequel il figure au comité éditorial.

Dans plus de 250 de ces revues, « un même auteur avait cosigné au moins 10% des articles de la publication ».

Hélas, ni mon coauteur ni moi-même ne travaillons dans le domaine biomédical où nous aurions sans doute eu la possibilité de publier notre article simultanément dans les deux revues. La science économique semble manifestement beaucoup moins népotique que la médecine, mais il est vrai que nous n’étions ni l’un ni l’autre rédac-chef ou referee de ces deux revues.

Nous ferons mieux la prochaine fois… D’ailleurs nous envisageons de créer une nouvelle revue dont mon collègue sera le rédac-chef et moi le seul referee qui donne son avis au rédac-chef, mais nous avons convenu que nous pourrions aussi écrire des articles en commun… Nous en avons déjà sept qui attendent que le premier numéro de la revue sorte de presse…

(1). David Larousserie, Des pratiques « népotiques » dans l’édition scientifique, Le Monde, 24 février 2021.

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